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Récit
recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Setrag Kaypaguian
Né en 1903 à Zeitoun Quand on nous a
emmenés en déportation, j'avais 12 ans, de sorte que je
me souviens assez bien. On nous a délogés de
Zeitoun.Toutes nos maisons, nos celliers, nos caves
remplies, nos vignes, nos arbres avec leurs fruits, on a
tout laissé. Nous nous sommes mis en route en pleurant
et gémissant. On nous a d'abord poussés vers Konya, et
de là on nous a emmenés dans le désert de Der-Zor. Là
c'était un méli-mélo, recherches de papa-maman, un chien
n'aurait pas reconnu ses maîtres, des morts les uns
après les autres, la maladie, la faim, la misère, on ne
sait plus lequel des maux raconter.
Un jour, un Arabe m'a vu, sans doute
avait-il eu pitié de moi, il m'a emmené chez lui, il a
fait de moi son enfant. Je suis devenu chamelier.
J'étais pieds nus, les cheveux longs; il n'y avait pas
d'eau pour se laver.
Quand le chameau urinait, je mettais
ma tête sous lui pour la laver.Quand j'avais mal quelque
part sur mon corps, mon père arabe me disait: "le diable
(tchéytan) est entré là" et il m'appliquait une braise
brûlante sur la peau pour faire sortir le diable. Je
croyais mourir de douleur, je sentais l'odeur de la
chair brûlée, mais ils m'avaient attaché les mains et
les pieds.Il y a encore sur mon corps 20 ou 25
cicatrices de ces brûlures.
Une tribu arabe voisine a envahi nos
tentes, ils ont tout pillé, ils ont enlevé les femmes,
ils ont tué les hommes. Ces nouveaux maîtres, avec les
chameaux et les femmes, m'ont pris et emmené aussi. Nous
sommes arrivés jusqu'au nord de l'Irak, à Mossoul, près
de l'ancienne Ninive historique, par où passait la ligne
de chemin de fer Bagdad-Berlin.
Moi, je me suis sauvé en douce de
chez ces Arabes, j'ai été au marché, j'ai trouvé des
Arméniens. Un homme très gentil m'a emmené dans sa
boutique, je travaillais avec lui.Plus tard je me suis
marié, j'ai fondé une famille. Nous sommes venus en
Arménie.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de
Vartouch fille de Hovannes
Guiragossian
Née en 1911 à
Alachguérd.
Mes parents me
racontaient, puisque moi j'étais
trop jeune, les événements de
1915.Mon père et ma mère évoquaient
les souffrances endurées sous les
coups des Turcs, et ils pleuraient.
Ils avaient délogé les Arméniens de
leurs maisons, ils les avaient
enfermés dans des granges, dans les
églises, et y avaient mis le feu,
ils les avaient brûlés.
Ils avaient
massacré les survivants.Quand ils
avaient incendié toutes les maisons,
il n'y avait plus d'autre solution
pour ceux qui avaient échappé par
miracle à ces méfaits, que de
prendre le chemin des déportations.
Ma mère, moi et
mes trois frères sommes partis.Mon
frère aîné Kaspar Der-Méliksétian
était dans l'armée du Général
Antranik. Il avait beaucoup aidé les
Arméniens, qui manquaient de tout et
n'avaient plus de maison.
Dans les convois
de déportés, beaucoup étaient morts
de fatigue, de faim et de soif. Le
fleuve Mourad était rempli de
cadavres.Ma mère et ses trois sœurs
ont mis des habits d'hommes, les
gens ont traversé le fleuve à la
nage. Maman racontait comment ils
avaient tué sous leurs yeux, leurs
proches parents.
Ils avaient mis
les femmes nues, et les avaient
obligées à danser, puis ils les
avaient tuées et étaient au comble
de la joie.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de
Mariam Akhoyan
Née
en 1909 à Mertin,
Térig
Avant
les massacres, à Mertin,
dans le village de Térig,
il n'y avait que des
Arméniens, on ne parlait
qu'arménien. Il y avait
un prêtre, Der Bédros,
les Tadjiks l'ont fait
mettre à quatre pattes
et sont montés dessus
comme sur un âne, ils
lui ont porté des coups
de couteau dans le dos
et sur la nuque.
Il
criait: O Christ,
délivre-nous !Les
Tadjiks devenaient
encore plus enragés. Ils
disaient: "appelle le
Christ, qu'il vienne à
ton secours!" Notre
ancien nom était: "Papoglou"
(enfant de prêtre). Nous
étions très croyants.
Dans
notre grande famille, ce
prêtre Der-Bédros était
notre grand-père. Nous
étions une famille très
respectée, mais nous
avons aussi beaucoup
souffert.Notre village
se trouvait dans le
Mertin. Il y avait là 5
églises: syrienne,
arménienne, catholique
et protestante
arménienne , et Sourp
Kévork. Aux murs de
Sourp Kévork, il y avait
des images. La cloche
sonnait.
Quand
les massacres ont
commencé, nous étions
chez les voisins. Les
Askiars (soldats turcs)
sont venus chercher mon
père, ma mère est
intervenue, elle s'est
mise à pleurer, les
Askiars l'ont repoussée,
ils ont emmené mon père
à l'armée, et là-bas il
est mort.Ils m'ont
emmenée dans un village
turc. Les adultes
parlaient, moi
j'entendais, qu'on
massacrait les
Arméniens, on enlevait
les filles
arméniennes. Moi j'étais
petite, mais je
comprenais, j'étais
maligne, je me mettais
de la boue sur la
figure, je laissais mes
pieds et ma culotte
sales, pour leur
déplaire, pour ne pas
être enlevée.
On
racontait qu'ils
mettaient une grosse
pierre sur le ventre des
femmes enceintes, ils
sautaient dessus pour
que l'enfant
meure.Ensuite, maman est
venue, elle m'a trouvée
dans le village tadjik.
Ma
mère a vécu jusque 100
ans. Elle disait
toujours: "Si seulement
ils pouvaient ôter le
feu qui est en moi,
s'ils pouvaient me
pendre moi aussi. Le feu
qui est en nous, est
entré dans le sang et la
moelle de nos enfants".
Ma pauvre maman, jusqu'à
la fin de sa vie, s'est
vêtue de noir. Elle
disait toujours: "si le
Tadjik vient chez vous,
lavez bien le seuil de
la maison et l'escalier
avec de l'eau et du
savon. S'ils vous
donnent une pomme,
déchirez votre poche et
jetez la pomme, car ils
viennent, ils
investissent la
maison, ils vous
prennent votre argent ou
votre honneur".
Ma
mère avait toujours
cette peur au fond du
cœur. Elle avait peur
que les Tadjiks enlèvent
ses enfants.A Térig, il
y avait 3 écoles. Mais
ma mère ne voulait pas
que sa petite-fille
aille à l'école.
Elle
a à peine fini le cours
élémentaire, et commencé
le cours moyen, que ma
mère a pris le sac
d'école de ma petite
fille, elle l'a déchiré
en deux morceaux, car
elle avait peur que les
Tadjiks lui fassent du
mal. Finalement, nous
sommes venues ici. Mes
petits-enfants Kévork et
son frère sont enfants
de chœur à Samatia et
dans les églises de
l'île de Knal. Ils vont
à l'école ici. Les
écoles arméniennes d'ici
n'acceptent pas nos
enfants au collège s'ils
ne sont pas baptisés.
Tous
les matins, tous les
soirs, je prie cinquante
fois par jour:
"Mon
Dieu, délivre-nous
complètement, que les
Chrétiens arméniens ne
tombent pas aux mains
des étrangers. Jésus
Christ nous a sauvés,
c'est lui notre
Sauveur."Quand nous
sommes arrivés à Bolis,
nous avons embrassé le
sol et les murs de
l'église. Puisque notre
village était très
pratiquant, nous
observions les jours de
jeûne, les partiels et
les complets.Notre
église Sourp Kévorl
avait 6 clés, 3 qu'on
tournait à droite, 3
qu'on tournait à
gauche. La cloche
sonnait. Aujourd'hui, il
ne reste plus d'église
arménienne.
(Cette témoin est
kurdophone, elle parle à
peine l'arménien. Nous
avons traduit avec
l'aide de ses proches)
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit n° 49 de Vartouhie fille de Makar
Potiguian
Née en 1912 à Van
J'ai appris qu'à Van nous étions très
riches.Mon père avait une maison de 17 pièces. Ma regrettée
mère, quand elle a appris que nous devions être expatriés, a
ôté son collier et tous ses bijoux en or et les a cachés
dans un trou au pied d'un arbre à côté d'un puits, pensant
que nous les retrouverions à notre retour.
Elle avait seulement gardé sa bague au
doigt.Au jour de la déportation, j'avais 3 ans. Je n'ai pas
compris que nous allions être déportés. Je me rappelle
seulement que ma regrettée mère m'a mis une galette dans la
main. Ils ont ouvert la grille, nous sommes sortis. Ma
regrettée mère a dit:
"Laissez les portes ouvertes, que les
Turcs viennent et ne nous massacrent pas.
Dans son esprit, nous allions revenir. Ma
mère, en route, m'a fait asseoir sur un âne. Nous marchions
dans un convoi, avec la foule. Sur le chemin, j'ai été
perdue. Des soldats russes ramassaient tous les enfants
perdus.En route, tu sais ce que nous avons vu ? Ah je ne
souhaite pas à nos ennemis de voir un tel jour. Nous étions
arrivés près du pont de Pergr. Tout à coup la foule a crié
et s'est sauvée. Au milieu, nous avons vu, la vallée de
Pergr était étroite, avant même que nous soyons arrivés à la
rivière, les Kurdes ont attaqué. Les Arméniens couraient, et
tombaient dans la rivière, ils se noyaient. Certains
voulaient passer avec leur bête, d'autres entraient dans
l'eau, le courant les emportait, ils gémissaient, ils
criaient, ils pleuraient. Les Kurdes nous incendiaient.
Les mères abandonnaient leurs enfants.
Que le défilé de Pergr soit maudit, il a
causé la mort de tant de personnes.Les Russes ont emmené les
enfants trouvés dans un endroit désert. Je suis restée deux
mois parmi les Russes. Ma regrettée mère est venue et m'a
trouvée.Nous sommes arrivés à Iktir. Ma mère me tenait par
la main. J'avais faim, je pleurais.Une femme d'Iktir était
en train de faire du "lavach". Ma regrettée mère s'est
approchée et a dit: "donne un lavach, que cette enfant le
mange". Mais cette méchante femme ne l'a pas donné. Ma
regrettée mère a ôté l'unique bague de son doigt et a dit:
"prends cette bague, donne un lavach". La femme a pris la
bague, et a donné un lavach à maman.
J'ai commencé à manger. J'avais très
faim. J'étais petite, mais ça je m'en souviens très bien.
Nous sommes arrivés à Etchmiadzine, nous
couchions dans les forêts. Il y en a qui mouraient. Mon
oncle est mort dans la forêt. Des gens un apporté un "gatchga"
(mot russe) un chariot, ils l'ont emmené et enterré. Il y
avait une épidémie de typhus, les uns mouraient, d'autres
restaient en vie.
Ma mère m'avait trouvée, mais elle n'a
pas trouvé mon frère et ma sœur. Eux étaient revenus à Van,
avec les déportés, avec les familles de ma tante et de mon
oncle. Mon oncle et son gendre s'étaient remis à combattre
et ont été tués dans la bataille. Mon frère et ma sœur
étaient restés à Van. On avait mis de la suie sur le visage
de ma regrettée sœur, et on l'avait cachée pour ne pas
qu'elle soit enlevée. Finalement, ils l'avaient donnée en
mariage à un ami de mon père.
En 1924, persécutés, massacrés, blessés
et malades, ils sont venus en Arménie.Je me rappelle, nous
étions assises, maman et moi sur le pont de Tchankv, quand
ils sont arrivés soudain. Maman les a embrassés, elle les a
serrés dans ses bras, ah j'en ai vu des choses !
Nous avons appris que mon oncle et son
gendre avaient perdu la vie.
Je me rappelle que mes deux tantes sont
venues avec leurs enfants, le reste je ne sais pas ce qu'ils
sont devenus.A Erevan, j'était dans la maison des enfants,
américaine. Là, j'avais attrapé la gale. Maman est venue est
m'a ramenée à la maison. Les Turcs d'Erevan ont laissé leur
maison et se sont sauvés, ils sont partis. Nous sommes
entrés dans leur maison et avons survécu.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Varsig
Aprahamian
Née en 1905 à
Van
Nous vivions en paix à Van. Il y
avait là le Lac de Van. Nous avions un vignoble, et
nous y allions l'été, dans le village d'Avants, où
mon grand-père était propriétaire des vignes et
avait une maison. Un jour, il a été annoncé que tous
les Avantsis devaient se réunir au monument
Khatchpoghan à telle heure, une conférence devait
avoir lieu en faveur des Arméniens. A l'heure dite,
tout le monde s'est réuni.
Il y a eu des discours. A la
fin, ils ont dit:
"Hurriyet, Atalet, Moussafat !"
J'ai demandé à mon père:
Qu'est-ce qu'ils disent ?
Quand les discours furent
terminés, la fanfare turque s'est mise à jouer. Puis
d'autres ont encore parlé.Un certain temps est
passé, et nos dirigeants Vramian et
les autres ont été emmenés et tués. Jetés à l'eau.
Puis les Turcs se sont préparés à combattre. Ils ont
commencé par fermer les églises arméniennes.
Nous avions 4 églises: Sourp
Nchan, Sourp Boghos-Bédros,, Sourp Vartan et Sourp
Aménaprguitch. Ils y ont mis le feu. Puis le combat
a commencé. Ils se sont précipités sur les
Arméniens. Les Arméniens se sont défendus, jusqu'à
la fin. Les Turcs ont envoyé des émissaires pour que
les Arméniens se rendent. Les Arméniens ont répondu:
"Nous ne nous rendrons pas, nous lutterons jusqu'à
la dernière goutte de sang".
La lutte a commencé. Mon père
était ramgavar. Ma mère préparait à manger, je
portais le repas de mon père dans sa position deux
fois par jour. C'était un endroit très dangereux.
Mon père a écrit un mot et me l'a remis pour que je
le porte à la résidence du prélat. Il avait écrit:
"Cette position est très dangereuse, elle est sous
le fort". Du côté de la bergerie, il fallait en
effet mettre une échelle, pour monter sur le toit.
Ils sont montés sur l'échelle, puis sur le toit, ils
ont creusé, ils ont fermé la porte de la bergerie,
ils ont fait entrer les villageois dedans. Les
Turcs, qui regardaient avec des longues-vues ont
pensé qu'il n'y avait plus personne dans le fort.
Ils se groupèrent. Les nôtres étaient prêts, le Turc
qui tenait la corde tombait par terre et était tué.
Ainsi les Arméniens devinrent plus forts.
Pendant ce combat, ma tante, son
vétro (mot russe) son seau à la main, partout où les
boulets tombaient, versait de l'eau dessus, les
ramassait et les portait à l'atelier où l'on
préparait la poudre.
De notre parentèle, beaucoup sont morts.
Les Turcs sont venus emmener les
mariniers arméniens pour qu'ils les aident à
s'évader car ils avaient entendu dire que les Russes
arrivaient. Un matelot arménien a rempli son bateau
de Turcs, il les a transportés au milieu de la mer,
le bateau s'est brisé. Le marin est revenu à la
nage, et a été sauvé. Les Turcs se sont noyés.
Les Russes sont arrivés. Ils ont
vécu longtemps parmi nous. Ils ont dit que quelque
part un front était ouvert, si eux partaient, les
Turcs nous tueraient. Les jeunes gens sont partis se
battre dans la montagne, les gens ont commencé à
s'en aller.
Le fleuve Pergri charriait des
cadavres. Ma tante avec son enfant était entrée dans
l'eau.
Son enfant a été emporté par le
courant. Ma pauvre tante y pensait toute sa vie: "Je
n'ai pas pu garder mon petit Papguén, l'eau l'a
emporté, j'avais cousu mes pièces d'or dans un
linge, je l'avais sorti de l'eau, je l'avais essoré
et mis sur une pierre pour que ça sèche, et je l'ai
oublié." Son enfant avait été emporté par l'eau, et
elle avait perdu son bien. Quand nous sommes arrivés
à Iktir, ma tante est morte de chagrin. Mon oncle
est mort au combat.
Après Iktir, nous sommes venus en
chariot en Arménie orientale. Mon père a dit: " nous
sommes un peuple d'eau, de terre et de vergers."
On nous a emmenés à "Ghamarlou
Ardachad". Nous y sommes allés, nous avons vécu
aussi là-bas.
Ensuite, longtemps après, nous avons déménagé à
Erevan.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Yévguiné Papazian
Née en 1908 à Nicomédia ,
Armach
Nous sommes arrivés à
Deir-Zor complètement épuisés. Nous étions à 17
dans une seule tente.Tous les matins, il y avait
une personne qu'on trouvait morte; il y avait
une épidémie de choléra, les malades mouraient
les uns après les autres. Un matin, mon père
s'est levé, il a remué son voisin, il s'est
aperçu qu'il était dur comme du bois. Il s'est
écrié: "Debout, les enfants, Simit est mort !"
Ils l'ont enterré.
Mon oncle était "tchété". Un
jour, il s'est perdu dans les montagnes, il voit
un troupeau de moutons, il se dit: ces moutons
ont probablement un maître, il les suit. Il
arrive auprès d'un riche Arabe.
Cet Arabe a gardé mon père.
Il allait chercher chaque jour 8 barils d'eau au
puits. C'était difficile, car il devait
descendre dans le puits avec le baril en fer
blanc à la main, avec un autre petit récipient
il devait remplir peu à peu le baril, ensuite il
devait monter avec ce lourd chargement. Mais
c'est ainsi qu'il a sauvé sa vie.
Et puis, par miracle, nous
avons été délivrés.En 1920, nous sommes allés en
Grèce. J'ai travaillé dans une fabrique de
figues, avec des filles qui avaient comme moi
échappé à la Catastrophe.
Puis nous sommes venus en
Arménie.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Haïgouhie
Boghtchadjian
Née en 1910, Kasdémouni,
Yayla
Notre village de Yayla avait 50 maisons
arméniennes.
Mon père s'était échappé de
la maison à minuit. Les Turcs sont arrivés à 3 h
du matin.Ils avaient des bidons remplis de
pétrole.Ils sont venus mettre le feu à notre
village.Un seul homme a été sauvé, il avait
creusé un trou dans la terre et était rentré
dedans.
Ma mère pleurait toujours, en
disant : "Ma famille de huit personnes a été
brûlée vive".
Moi, c'est par miracle que
j'ai été sauvée, ma mère m'avait jetée à terre
du 3ème étage, j'étais tombée,
j'avais des fractures.
Ensuite mon père était venu
et m'avait trouvée.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de
Mélinée Terzian
Née en 1905 à
Bilédjig
Jusqu'au désastre
d'Izmir, nous habitions à Bilédjig. Les
Turcs sont venus, ils voulaient chasser les
Grecs d'Izmir. Le Grec a dit: Moi j'ai fait des
dépenses ici ce que j'ai acquis, je le brûlerai.
Les fils électriques ont été
reliés, la ville a été incendiée. En ce
temps-là, j'avais 16 ans. Les Grecs voulaient
qu'on leur rende les dépenses qu'ils avaient
faites.
Ensuite nous sommes venus à
Banderma.Nous sommes restés une nuit au bord de
la mer, à la belle étoile. Puis l'Union de
Bienfaisance a envoyé un navire spécial, pour
délivrer les Arméniens. Le navire est arrivé le
surlendemain. Les Arméniens se sont entassés
dans le navire.
Le navire a levé l'ancre, le
bord de mer était encore plein d'Arméniens.
Kémal a fait rassembler tous les Arméniens, il
les a fait mettre dans un tunnel, il a fait
verser du pétrole aux deux bouts, il a fait
brûler tous les Arméniens.
J'ai vu ça de mes propres
yeux. Les jeunes qui savaient nager se sont mis
à nager dans la mer Notre navire s'était
éloigné. Les jeunes gens se sont approchés d'un
autre navire pour qu'il les sauve. Mais ceux du
navire les ont arrosés d'eau bouillante, on
voyait la vapeur.
Tous les jeunes Arméniens
sont morts dans l'eau. Cette image, je ne peux
pas l'oublier.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Hagop Terzian
né en 1910 à Nicomédia – Armarch
Le 24 avril 1915, dimanche de
Pâques, on nous a emmenés sur une côte. Il y avait
là un grand nombre de cadavres, tous
dénudés. empilés les uns sur les autres en forme de
croix, on aurait cru des poutres en bois rangées
l'une sur l'autre. massacrés, tués, et entassés.
Puis le gouvernement ottoman
a donné l'ordre de "chapatoriag"
(?)
Ils ont tout enterré, pour éviter
le choléra. Près du fleuve Euphrate, il y avait des
milliers de gens entassés. C'était le dimanche de
Pâques ! Nous, nous étions sous des tentes.
L'ordre est arrivé. Les turcs se
sont mis à tout démolir, à massacrer les
Arméniens. Et pour que devant le Tribunal
International il ne soit pas dit qu'ils avaient
massacré le peuple, ils ont dit qu'ils nous
"déportaient".
Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Le
massacre de Cilicie (en
arménien : Guiliguia)
Le sultan Hamid
II a régné pendant 33 ans.
En 1908, il a
proclamé:"Hurriyet, Atelet, Okulvet,
Musafat, Millet !"[1] c'est-à-dire
que nous allions
tous vivre comme des frères. Mais
trois mois plus tard, il a ordonné
les massacres. En Cilicie, à Hadjen,
à Tiordiol, Adana, Sis, et autres
lieux, ils commencèrent à
massacrer.En trois jours, ils ont
massacré 30 000 Arméniens.
Ce massacre s'est
rapproché de Marache.Nos
compatriotes de Zeytoun ont appris
que les Arméniens de Cilicie se
faisaient massacrer. Les seigneurs
ont prévenu les autorités de Marache
:
" Ne touchez pas
aux Arméniens de Marache, car nous
viendrons brûler toute la ville de
Marache" !
Les gouverneurs
turcs ont eu peur des Zeytountsis.
Ils ont arrêté le massacre.C'est à
ce moment-là qu'est né le chant
ci-après:"Godoradz'n anqout, Hayére
togh lan. Anabad tartsav Ch'kégh
Guiliguian"
"L'impitoyable
massacre,Que les Arméniens pleurent
!Désert est devenue La Belle
Cilicie" [2]
[1] En 1908 a été
promulguée la Constitution ottomane
turque dont le
mot d'ordre était: "Liberté,
Justice, Fraternité, Égalité du
peuple".
[2] Ce chant se
trouve en totalité dans le livre de
Verjine Svazlian "Guiliguia.
Arévmdahayots panavor avantoutioune"
Erevan 1994 – pages 173-174, ainsi
que dans la partie des chants
populaires historiques.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Sinanian
Née en 1912 à Eski Shéhir,
Mourattchaï, Moi je me rappelle la seconde
déportation.
Pour la seconde fois on nous
a délogés et on nous a emmenés à
Eski-Shéhir. Ils ont emmené ma grand'mère, ma "dadig",
mes deux sœurs, mes deux cousines, les filles de
ma tante maternelle. Nous marchions au bout du
convoi..
Moi je tenais la main de ma
grand'mère. Un policier turc s'est approché et a
dit: "lâche-lui la main".
Ma grand'mère a dit: "Est-ce
que je suis capable de lâcher la main de ma
petite fille ?"Nous sommes arrivés à pied à
Sébastia. On nous a permis de nous reposer au
bord du fleuve Halis. Ma mère nous a emmenées,
moi et mes deux sœurs à l'orphelinat de secours
des pauvres. Il y avait là, 12 orphelins de
notre village.
Nous, nous ne comprenions
pas pourquoi nous étions dans un orphelinat.
Sous la direction de
Mademoiselle Achkhén, nous apprenions à peindre
le Mont Ararat, mais il n'y avait rien à
manger.Un jour, ma camarade m'a dit: "Viens,
faisons semblant d'être malades, pour qu'on nous
donne à manger".Ils ont fait venir un médecin.
Il nous a auscultées, il nous a mis dans une
chambre seule.
Là, il y avait un sac.
Dedans, des petits morceaux de pain rassis.A
l'orphelinat , j'ai attrapé la gale. On m'a
déshabillée, on m'a baignée, on m'a enduite de
soufre. Quand mon corps a été sec, on m'a encore
baignée.On nous a emmenés à Samsun. Il y avait
de grands garçons qu'ils avaient trouvés.
Les Turcs avaient entassé
dans la cour intérieure de l'église des livres
arméniens qu'ils voulaient brûler, mais ils
n'avaient pas réussi. Moi j'ai trouvé une petite
Bible et je l'ai ramassée.
Ensuite on nous a emmenés en
Grèce, dans l'île appelée Edissos. Nous étions
tout en haut. Il y avait des tonneaux, nous
ramassions des olives.Puis mon père, de
Bulgarie, nous avait cherchées, et nous a
trouvées, nous et maman.Nous avons été réunis,
et nous sommes venus ensemble en Arménie.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Zadig l'aveugle
L'ami de mon père était un
homme âgé, il s'appelait Zadig Agha. Un jour, il
est venu chez nous, il a dit à mon père: "
Nigoghos, aujourd'hui j'ai été à l'église, j'ai
prié, et j'ai dit: "Mon Dieu, est-ce que tu vas
me rappeler tous les péchés que j'ai commis
depuis 60 ans ?
D'accord, alors, très bien,
mais moi je vais te rappeler tout ce que j'ai
souffert pendant 40 ans.
Et j'ai pleuré.," a-t-il
dit.Mon père a dit: "Tu as parlé très juste"Car
pendant la déportation, les Turcs avaient battu
Zadig, et depuis 40 ans cet homme vivait
aveugle.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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