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WAN © 2007

TÉMOIGNAGES

Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.

Récit de Setrag Kaypaguian

Né en 1903 à Zeitoun

Quand on nous a emmenés en déportation, j'avais 12 ans, de sorte que je me souviens assez bien. On nous a délogés de Zeitoun.Toutes nos maisons, nos celliers, nos caves remplies, nos vignes, nos arbres avec leurs fruits, on a tout laissé. Nous nous sommes mis en route en pleurant et gémissant. On nous a d'abord poussés vers Konya, et de là on nous a emmenés dans le désert de Der-Zor. Là c'était un méli-mélo, recherches de papa-maman, un chien n'aurait pas reconnu ses maîtres, des morts les uns après les autres, la maladie, la faim, la misère, on ne sait plus lequel des maux raconter.

Un jour, un Arabe m'a vu, sans doute avait-il eu pitié de moi, il m'a emmené chez lui, il a fait de moi son enfant. Je suis devenu chamelier. J'étais pieds nus, les cheveux longs; il n'y avait pas d'eau pour se laver.

Quand le chameau urinait, je mettais ma tête sous lui pour la laver.Quand j'avais mal quelque part sur mon corps, mon père arabe me disait: "le diable (tchéytan) est entré là" et il m'appliquait une braise brûlante sur la peau pour faire sortir le diable. Je croyais mourir de douleur, je sentais l'odeur de la chair brûlée, mais ils m'avaient attaché les mains et les pieds.Il y a encore sur mon corps 20 ou 25 cicatrices de ces brûlures.

Une tribu arabe voisine a envahi nos tentes, ils ont tout pillé, ils ont enlevé les femmes, ils ont tué les hommes. Ces nouveaux maîtres, avec les chameaux et les femmes, m'ont pris et emmené aussi. Nous sommes arrivés jusqu'au nord de l'Irak, à Mossoul, près de l'ancienne Ninive historique, par où passait la ligne de chemin de fer Bagdad-Berlin.

Moi, je me suis sauvé en douce de chez ces Arabes, j'ai été au marché, j'ai trouvé des Arméniens. Un homme très gentil m'a emmené dans sa boutique, je travaillais avec lui.Plus tard je me suis marié, j'ai fondé une famille. Nous sommes venus en Arménie.


(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

 Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.

Récit de Vartouch fille de Hovannes Guiragossian

Née en 1911 à Alachguérd.

Mes parents me racontaient, puisque moi j'étais trop jeune, les événements de 1915.Mon père et ma mère évoquaient les souffrances endurées sous les coups des Turcs, et ils pleuraient. Ils avaient délogé les Arméniens de leurs maisons, ils les avaient enfermés dans des granges, dans les églises, et y avaient mis le feu, ils les avaient brûlés.

Ils avaient massacré les survivants.Quand ils avaient incendié toutes les maisons, il n'y avait plus d'autre solution pour ceux qui avaient échappé par miracle à ces méfaits, que de prendre le chemin des déportations.

Ma mère, moi et mes trois frères sommes partis.Mon frère aîné Kaspar Der-Méliksétian était dans l'armée du Général Antranik. Il avait beaucoup aidé les Arméniens, qui manquaient de tout et n'avaient plus de maison.

Dans les convois de déportés, beaucoup étaient morts de fatigue, de faim et de soif. Le fleuve Mourad était rempli de cadavres.Ma mère et ses trois sœurs ont mis des habits d'hommes, les gens ont traversé le fleuve à la nage. Maman racontait comment ils avaient tué sous leurs yeux, leurs proches parents.

Ils avaient mis les femmes nues, et les avaient obligées à danser, puis ils les avaient tuées et étaient au comble de la joie.

 

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

 Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.

Récit de Mariam Akhoyan

Née en 1909 à Mertin, Térig

Avant les massacres, à Mertin, dans le village de Térig, il n'y avait que des Arméniens, on ne parlait qu'arménien. Il y avait un prêtre, Der Bédros, les Tadjiks l'ont fait mettre à quatre pattes et sont montés dessus comme sur un âne, ils lui ont porté des coups de couteau dans le dos et sur la nuque.

Il criait: O Christ, délivre-nous !Les Tadjiks devenaient encore plus enragés. Ils disaient: "appelle le Christ, qu'il vienne à ton secours!" Notre ancien nom était: "Papoglou" (enfant de prêtre). Nous étions très croyants.

Dans notre grande famille, ce prêtre Der-Bédros était notre grand-père. Nous étions une famille très respectée, mais nous avons aussi beaucoup souffert.Notre village se trouvait dans le Mertin. Il y avait là 5 églises: syrienne, arménienne, catholique et protestante arménienne , et Sourp Kévork. Aux murs de Sourp Kévork, il y avait des images. La cloche sonnait.

Quand les massacres ont commencé, nous étions chez les voisins. Les Askiars (soldats turcs) sont venus chercher mon père, ma mère est intervenue, elle s'est mise à pleurer, les Askiars l'ont repoussée, ils ont emmené mon père à l'armée, et là-bas il est mort.Ils m'ont emmenée dans un village turc. Les adultes parlaient, moi j'entendais, qu'on massacrait les Arméniens, on enlevait les filles arméniennes. Moi j'étais petite, mais je comprenais, j'étais maligne, je me mettais de la boue sur la figure, je laissais mes pieds et ma culotte sales, pour leur déplaire, pour ne pas être enlevée.

 On racontait qu'ils mettaient une grosse pierre sur le ventre des femmes enceintes, ils sautaient dessus pour que l'enfant meure.Ensuite, maman est venue, elle m'a trouvée dans le village tadjik.

Ma mère a vécu jusque 100 ans. Elle disait toujours: "Si seulement ils pouvaient ôter le feu qui est en moi, s'ils pouvaient me pendre moi aussi. Le feu qui est en nous, est entré dans le sang et la moelle de nos enfants". Ma pauvre maman, jusqu'à la fin de sa vie, s'est vêtue de noir. Elle disait toujours: "si le Tadjik vient chez vous, lavez bien le seuil de la maison et l'escalier avec de l'eau et du savon. S'ils vous donnent une pomme, déchirez votre poche et jetez la pomme, car ils viennent, ils investissent la maison, ils vous prennent votre argent ou votre honneur".

 Ma mère avait toujours cette peur au fond du cœur. Elle avait peur que les Tadjiks enlèvent ses enfants.A Térig, il y avait 3 écoles. Mais ma mère ne voulait pas que sa petite-fille aille à l'école.

 Elle a à peine fini le cours élémentaire, et commencé le cours moyen, que ma mère a pris le sac d'école de ma petite fille, elle l'a déchiré en deux morceaux, car elle avait peur que les Tadjiks lui fassent du mal. Finalement, nous sommes venues ici. Mes petits-enfants Kévork et son frère sont enfants de chœur à Samatia et dans les églises de l'île de Knal. Ils vont à l'école ici. Les écoles arméniennes d'ici n'acceptent pas nos enfants au collège s'ils ne sont pas baptisés.

Tous les matins, tous les soirs, je prie cinquante fois par jour:

"Mon Dieu, délivre-nous complètement, que les Chrétiens arméniens ne tombent pas aux mains des étrangers. Jésus Christ nous a sauvés, c'est lui notre Sauveur."Quand nous sommes arrivés à Bolis, nous avons embrassé le sol et les murs de l'église. Puisque notre village était très pratiquant, nous observions les jours de jeûne, les partiels et les complets.Notre église Sourp Kévorl avait 6 clés, 3 qu'on tournait à droite, 3 qu'on tournait à gauche. La cloche sonnait. Aujourd'hui, il ne reste plus d'église arménienne.

(Cette témoin est kurdophone, elle parle à peine l'arménien. Nous avons traduit avec l'aide de ses proches)

 

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

     Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Récit n° 49 de Vartouhie fille de Makar Potiguian

Née en 1912 à Van

J'ai appris qu'à Van nous étions très riches.Mon père avait une maison de 17 pièces. Ma regrettée mère, quand elle a appris que nous devions être expatriés, a ôté son collier et tous ses bijoux en or et les a cachés dans un trou au pied d'un arbre à côté d'un puits, pensant que nous les retrouverions à notre retour.

 Elle avait seulement gardé sa bague au doigt.Au jour de la déportation, j'avais 3 ans. Je n'ai pas compris que nous allions être déportés. Je me rappelle seulement que ma regrettée mère m'a mis une galette dans la main. Ils ont ouvert la grille, nous sommes sortis. Ma regrettée mère a dit:

 "Laissez les portes ouvertes, que les Turcs viennent et ne nous massacrent pas.

Dans son esprit, nous allions revenir. Ma mère, en route, m'a fait asseoir sur un âne. Nous marchions dans un convoi, avec la foule. Sur le chemin, j'ai été perdue. Des soldats russes ramassaient tous les enfants perdus.En route, tu sais ce que nous avons vu ? Ah je ne souhaite pas à nos ennemis de voir un tel jour. Nous étions arrivés près du pont de Pergr. Tout à coup la foule a crié et s'est sauvée. Au milieu, nous avons vu, la vallée de Pergr était étroite, avant même que nous soyons arrivés à la rivière, les Kurdes ont attaqué. Les Arméniens couraient, et tombaient dans la rivière, ils se noyaient. Certains voulaient passer avec leur bête, d'autres entraient dans l'eau, le courant les emportait, ils gémissaient, ils criaient, ils pleuraient. Les Kurdes nous incendiaient.

Les mères abandonnaient leurs enfants.

Que le défilé de Pergr soit maudit, il a causé la mort de tant de personnes.Les Russes ont emmené les enfants trouvés dans un endroit désert. Je suis restée deux mois parmi les Russes. Ma regrettée mère est venue et m'a trouvée.Nous sommes arrivés à Iktir. Ma mère me tenait par la main. J'avais faim, je pleurais.Une femme d'Iktir était en train de faire du "lavach". Ma regrettée mère s'est approchée et a dit: "donne un lavach, que cette enfant le mange". Mais cette méchante femme ne l'a pas donné. Ma regrettée mère a ôté l'unique bague de son doigt et a dit: "prends cette bague, donne un lavach". La femme a pris la bague, et a donné un lavach à maman.

 J'ai commencé à manger. J'avais très faim. J'étais petite, mais ça je m'en souviens très bien.

Nous sommes arrivés à Etchmiadzine, nous couchions dans les forêts. Il y en a qui mouraient. Mon oncle est mort dans la forêt. Des gens un apporté un "gatchga" (mot russe) un chariot, ils l'ont emmené et enterré. Il y avait une épidémie de typhus, les uns mouraient, d'autres restaient en vie.

Ma mère m'avait trouvée, mais elle n'a pas trouvé mon frère et ma sœur. Eux étaient revenus à Van, avec les déportés, avec les familles de ma tante et de mon oncle. Mon oncle et son gendre s'étaient remis à combattre et ont été tués dans la bataille. Mon frère et ma sœur étaient restés à Van. On avait mis de la suie sur le visage de ma regrettée sœur, et on l'avait cachée pour ne pas qu'elle soit enlevée. Finalement, ils l'avaient donnée en mariage à un ami de mon père.

En 1924, persécutés, massacrés, blessés et malades, ils sont venus en Arménie.Je me rappelle, nous étions assises, maman et moi sur le pont de Tchankv, quand ils sont arrivés soudain. Maman les a embrassés, elle les a serrés dans ses bras, ah j'en ai vu des choses !

Nous avons appris que mon oncle et son gendre avaient perdu la vie.

 Je me rappelle que mes deux tantes sont venues avec leurs enfants, le reste je ne sais pas ce qu'ils sont devenus.A Erevan, j'était dans la maison des enfants, américaine. Là, j'avais attrapé la gale. Maman est venue est m'a ramenée à la maison. Les Turcs d'Erevan ont laissé leur maison et se sont sauvés, ils sont partis. Nous sommes entrés dans leur maison et avons survécu.

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Récit de Varsig Aprahamian

Née en 1905 à Van

Nous vivions en paix à Van. Il y avait là le Lac de Van. Nous avions un vignoble, et nous y allions l'été, dans le village d'Avants, où mon grand-père était propriétaire des vignes et avait une maison. Un jour, il a été annoncé que tous les Avantsis devaient se réunir au monument Khatchpoghan à telle heure, une conférence devait avoir lieu en faveur des Arméniens. A l'heure dite, tout le monde s'est réuni.

 Il y a eu des discours. A la fin, ils ont dit:

"Hurriyet, Atalet, Moussafat !"

J'ai demandé à mon père: Qu'est-ce qu'ils disent ?

  • "Nous les Turcs et les Arméniens allons être des frères".

Quand les discours furent terminés, la fanfare turque s'est mise à jouer. Puis d'autres ont encore parlé.Un certain temps est passé, et nos dirigeants Vramian et les autres ont été emmenés et tués. Jetés à l'eau. Puis les Turcs se sont préparés à combattre. Ils ont commencé par fermer les églises arméniennes.

 Nous avions 4 églises: Sourp Nchan, Sourp Boghos-Bédros,, Sourp Vartan et Sourp Aménaprguitch. Ils y ont mis le feu. Puis le combat a commencé. Ils se sont précipités sur les Arméniens. Les Arméniens se sont défendus, jusqu'à la fin. Les Turcs ont envoyé des émissaires pour que les Arméniens se rendent. Les Arméniens ont répondu: "Nous ne nous rendrons pas, nous lutterons jusqu'à la dernière goutte de sang".

La lutte a commencé. Mon père était ramgavar. Ma mère préparait à manger, je portais le repas de mon père dans sa position deux fois par jour. C'était un endroit très dangereux. Mon père a écrit un mot et me l'a remis pour que je le porte à la résidence du prélat. Il avait écrit: "Cette position est très dangereuse, elle est sous le fort". Du côté de la bergerie, il fallait en effet mettre une échelle, pour monter sur le toit. Ils sont montés sur l'échelle, puis sur le toit, ils ont creusé, ils ont fermé la porte de la bergerie, ils ont fait entrer les villageois dedans. Les Turcs, qui regardaient avec des longues-vues ont pensé qu'il n'y avait plus personne dans le fort. Ils se groupèrent. Les nôtres étaient prêts, le Turc qui tenait la corde tombait par terre et était tué. Ainsi les Arméniens devinrent plus forts.

Pendant ce combat, ma tante, son vétro (mot russe) son seau à la main, partout où les boulets tombaient, versait de l'eau dessus, les ramassait et les portait à l'atelier où l'on préparait la poudre.
De notre parentèle, beaucoup sont morts.

Les Turcs sont venus emmener les mariniers arméniens pour qu'ils les aident à s'évader car ils avaient entendu dire que les Russes arrivaient. Un matelot arménien a rempli son bateau de Turcs, il les a transportés au milieu de la mer, le bateau s'est brisé. Le marin est revenu à la nage, et a été sauvé. Les Turcs se sont noyés.

Les Russes sont arrivés. Ils ont vécu longtemps parmi nous. Ils ont dit que quelque part un front était ouvert, si eux partaient, les Turcs nous tueraient. Les jeunes gens sont partis se battre dans la montagne, les gens ont commencé à s'en aller.

Le fleuve Pergri charriait des cadavres. Ma tante avec son enfant était entrée dans l'eau.

Son enfant a été emporté par le courant. Ma pauvre tante y pensait toute sa vie: "Je n'ai pas pu garder mon petit Papguén, l'eau l'a emporté, j'avais cousu mes pièces d'or dans un linge, je l'avais sorti de l'eau, je l'avais essoré et mis sur une pierre pour que ça sèche, et je l'ai oublié." Son enfant avait été emporté par l'eau, et elle avait perdu son bien. Quand nous sommes arrivés à Iktir, ma tante est morte de chagrin. Mon oncle est mort au combat.

Après Iktir, nous sommes venus en chariot en Arménie orientale. Mon père a dit: " nous sommes un peuple d'eau, de terre et de vergers."

On nous a emmenés à "Ghamarlou Ardachad". Nous y sommes allés, nous avons vécu aussi là-bas.

Ensuite, longtemps après, nous avons déménagé à Erevan.

 

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Récit de Yévguiné Papazian

Née en 1908 à Nicomédia , Armach

Nous sommes arrivés à Deir-Zor complètement épuisés. Nous étions à 17 dans une seule tente.Tous les matins, il y avait une personne qu'on trouvait morte; il y avait une épidémie de choléra, les malades mouraient les uns après les autres. Un matin, mon père s'est levé, il a remué son voisin, il s'est aperçu qu'il était dur comme du bois. Il s'est écrié: "Debout, les enfants, Simit est mort !"

Ils l'ont enterré.

Mon oncle était "tchété". Un jour, il s'est perdu dans les montagnes, il voit un troupeau de moutons, il se dit: ces moutons ont probablement un maître, il les suit. Il arrive auprès d'un riche Arabe.

Cet Arabe a gardé mon père. Il allait chercher chaque jour 8 barils d'eau au puits. C'était difficile, car il devait descendre dans le puits avec le baril en fer blanc à la main, avec un autre petit récipient il devait remplir peu à peu le baril, ensuite il devait monter avec ce lourd chargement. Mais c'est ainsi qu'il a sauvé sa vie.

Et puis, par miracle, nous avons été délivrés.En 1920, nous sommes allés en Grèce. J'ai travaillé dans une fabrique de figues, avec des filles qui avaient comme moi échappé à la Catastrophe.

 Puis nous sommes venus en Arménie.

 

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Récit de Haïgouhie Boghtchadjian

Née en 1910, Kasdémouni, Yayla

Notre village de Yayla avait 50 maisons arméniennes.

Mon père s'était échappé de la maison à minuit. Les Turcs sont arrivés à 3 h du matin.Ils avaient des bidons remplis de pétrole.Ils sont venus mettre le feu à notre village.Un seul homme a été sauvé, il avait creusé un trou dans la terre et était rentré dedans.

Ma mère pleurait toujours, en disant : "Ma famille de huit personnes a été brûlée vive".

Moi, c'est par miracle que j'ai été sauvée, ma mère m'avait jetée à terre du 3ème étage, j'étais tombée, j'avais des fractures.

Ensuite mon père était venu et m'avait trouvée.

 

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Récit de Mélinée Terzian

Née en 1905 à Bilédjig

Jusqu'au désastre d'Izmir, nous habitions à Bilédjig. Les Turcs sont venus, ils voulaient chasser les Grecs d'Izmir. Le Grec a dit: Moi j'ai fait des dépenses ici ce que j'ai acquis, je le brûlerai.

Les fils électriques ont été reliés, la ville a été incendiée. En ce temps-là, j'avais 16 ans. Les Grecs voulaient qu'on leur rende les dépenses qu'ils avaient faites.

Ensuite nous sommes venus à Banderma.Nous sommes restés une nuit au bord de la mer, à la belle étoile. Puis l'Union de Bienfaisance a envoyé un navire spécial, pour délivrer les Arméniens. Le navire est arrivé le surlendemain. Les Arméniens se sont entassés dans le navire.

Le navire a levé l'ancre, le bord de mer était encore plein d'Arméniens. Kémal a fait rassembler tous les Arméniens, il les a fait mettre dans un tunnel, il a fait verser du pétrole aux deux bouts, il a fait brûler tous les Arméniens.

 J'ai vu ça de mes propres yeux. Les jeunes qui savaient nager se sont mis à nager dans la mer Notre navire s'était éloigné. Les jeunes gens se sont approchés d'un autre navire pour qu'il les sauve. Mais ceux du navire les ont arrosés d'eau bouillante, on voyait la vapeur.

 Tous les jeunes Arméniens sont morts dans l'eau. Cette image, je ne peux pas l'oublier.

 

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Récit de Hagop Terzian

né en 1910 à Nicomédia – Armarch

Le 24 avril 1915, dimanche de Pâques, on nous a emmenés sur une côte. Il y avait là un grand nombre de cadavres, tous dénudés. empilés les uns sur les autres en forme de croix, on aurait cru des poutres en bois rangées l'une sur l'autre. massacrés, tués, et entassés. Puis le gouvernement ottoman

a donné l'ordre de "chapatoriag" (?)

Ils ont tout enterré, pour éviter le choléra. Près du fleuve Euphrate, il y avait des milliers de gens entassés. C'était le dimanche de Pâques ! Nous, nous étions sous des tentes.

L'ordre est arrivé. Les turcs se sont mis à tout démolir, à massacrer les Arméniens. Et pour que devant le Tribunal International il ne soit pas dit qu'ils avaient massacré le peuple, ils ont dit qu'ils nous "déportaient".

Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Le massacre de Cilicie (en arménien : Guiliguia)

Le sultan Hamid II a régné pendant 33 ans.

En 1908, il a proclamé:"Hurriyet, Atelet, Okulvet, Musafat, Millet !"[1] c'est-à-dire

que nous allions tous vivre comme des frères. Mais trois mois plus tard, il a ordonné les massacres. En Cilicie, à Hadjen, à Tiordiol, Adana, Sis, et autres lieux, ils commencèrent à massacrer.En trois jours, ils ont massacré 30 000 Arméniens.

Ce massacre s'est rapproché de Marache.Nos compatriotes de Zeytoun ont appris que les Arméniens de Cilicie se faisaient massacrer. Les seigneurs ont prévenu les autorités de Marache :

" Ne touchez pas aux Arméniens de Marache, car nous viendrons brûler toute la ville de Marache" !

Les gouverneurs turcs ont eu peur des Zeytountsis. Ils ont arrêté le massacre.C'est à ce moment-là qu'est né le chant ci-après:"Godoradz'n anqout, Hayére togh lan. Anabad tartsav Ch'kégh Guiliguian"

"L'impitoyable massacre,Que les Arméniens pleurent !Désert est devenue La Belle Cilicie" [2]

[1] En 1908 a été promulguée la Constitution ottomane

turque dont le mot d'ordre était: "Liberté, Justice, Fraternité, Égalité du peuple".

[2] Ce chant se trouve en totalité dans le livre de Verjine Svazlian "Guiliguia. Arévmdahayots panavor avantoutioune" Erevan 1994 – pages 173-174,  ainsi que dans la partie des chants populaires historiques.

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

 

Récit de Sinanian

Née en 1912 à Eski Shéhir, Mourattchaï, Moi je me rappelle la seconde déportation.

Pour la seconde fois on nous a délogés et on nous a emmenés à Eski-Shéhir. Ils ont emmené ma grand'mère, ma "dadig", mes deux sœurs, mes deux cousines, les filles de ma tante maternelle. Nous marchions au bout du convoi..

Moi je tenais la main de ma grand'mère. Un policier turc s'est approché et a dit: "lâche-lui la main".

Ma grand'mère a dit: "Est-ce que je suis capable de lâcher la main de ma petite fille ?"Nous sommes arrivés à pied à Sébastia. On nous a permis de nous reposer au bord du fleuve Halis. Ma mère nous a emmenées, moi et mes deux sœurs à l'orphelinat de secours des pauvres. Il y avait là, 12 orphelins de notre village.

 Nous, nous ne comprenions pas pourquoi nous étions dans un orphelinat.

Sous la direction de Mademoiselle Achkhén, nous apprenions à peindre le Mont Ararat, mais il n'y avait rien à manger.Un jour, ma camarade m'a dit: "Viens, faisons semblant d'être malades, pour qu'on nous donne à manger".Ils ont fait venir un médecin. Il nous a auscultées, il nous a mis dans une chambre seule.

 Là, il y avait un sac. Dedans, des petits morceaux de pain rassis.A l'orphelinat , j'ai attrapé la gale. On m'a déshabillée, on m'a baignée, on m'a enduite de soufre. Quand mon corps a été sec, on m'a encore baignée.On nous a emmenés à Samsun. Il y avait de grands garçons qu'ils avaient trouvés.

Les Turcs avaient entassé dans la cour intérieure de l'église des livres arméniens qu'ils voulaient brûler, mais ils n'avaient pas réussi. Moi j'ai trouvé une petite Bible et je l'ai ramassée.

Ensuite on nous a emmenés en Grèce, dans l'île appelée Edissos. Nous étions tout en haut. Il y avait des tonneaux, nous ramassions des olives.Puis mon père, de Bulgarie, nous avait cherchées, et nous a trouvées, nous et maman.Nous avons été réunis, et nous sommes venus ensemble en Arménie.

 

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

 

Récit de Zadig l'aveugle

L'ami de mon père était un homme âgé, il s'appelait Zadig Agha. Un jour, il est venu chez nous, il a dit à mon père: " Nigoghos, aujourd'hui j'ai été à l'église, j'ai prié, et j'ai dit: "Mon Dieu, est-ce que tu vas me rappeler tous les péchés que j'ai commis depuis 60 ans ?

D'accord, alors, très bien, mais moi je vais te rappeler tout ce que j'ai souffert pendant 40 ans.

Et j'ai pleuré.," a-t-il dit.Mon père a dit: "Tu as parlé très juste"Car pendant la déportation, les Turcs avaient battu Zadig, et depuis 40 ans cet homme vivait aveugle.

 

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

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