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Récit
recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit d'Arpène fille de Mikael
Aghadjanian
Née en 1909 à Arapkir
Moi j'étais une enfant. Ma mère était
malade. J'avais deux oncles. Ma sœur était mariée. Les Turcs
sont venus. Ils ont ôté ma mère de son siège de paralytique.
Ils ont déporté toute la population du quartier.
Ils ont aussi emmené les deux frères de
maman. Maman est restée couchée par terre. Elle était
malade, elle ne pouvait pas bouger. Je restais auprès
d'elle.
Une gentille femme est venue, elle a
porté maman, elle l'a emmenée, et moi je les suivais.
Nous sommes restées deux ans parmi les
Turcs. Ils ont pillé tout ce que nous avions.
Qui a souffert ce que nous avons enduré ?
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit d'Anouche
Topalian
Née en 1910 à
Hozghad, Eyléndjé.
Ils ont emmené tous
les hommes à l'église arménienne, ils
les ont enfermés,
ils les ont tués,
ils les ont fait mourir et les ont jetés
à l'eau. Nous sommes du village de
Eylendjé,
de Hozghad. J'avais 5
ans. J'étais à côté de ma mère. Je m'en
souviens.
Nous sommes restés
dans notre maison, puisque mon père
était soldat dans l'armée turque.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit d e
Garabed Garamanoukian
Né en
1907 à Aïntab
Avant les
massacres de 1915, les Turcs
et les Arméniens vivaient
ensemble calmement et en
paix, ensuite, ensuite les
Allemands sont venus, ils
voulaient créer une ligne de
chemin de fer de Berlin à
Bagdad. Le Conseiller du
Sultan était Artin Amira. Il
lui a dit: Mon Padishah,
longue vie à toi, tu commets
une erreur. Ne les laisse
pas faire. On dit que les
Allemands se sont fâchés, ce
serait la cause du début des
massacres des Arméniens. Ce
fut le prétexte des
massacres. A Marache, ils
ont rassemblé les Arméniens,
pour soi-disant les mettre
dans l'armée turque, mais en
route ils les ont tués.
Ensuite ils ont violé leurs
femmes, ils les tuaient, ils
les jetaient dans les
déserts. Les femmes les
suppliaient de ne pas les
tuer. Je me rappelle, les
zaptiyés disaient: "Korkuma,
kizilarim, petchaklarimiz
dokdorlardan muhayénélidir,
hitch duymasiniz" (n'aie pas
peur mon agneau, nos
couteaux ont été inspectés
par les docteurs, vous ne
sentirez rien). Ils m'ont
aussi crevé les yeux pendant
les massacres, j'étais
encore un enfant.
(Ce récit
ma été raconté par Garabed
Garamanoukian. Pendant la
Grande Catastrophe, les
Turcs lui avaient arraché
les deux yeux. Or sa mémoire
avait enregistré les images
indicibles qu'il avait vues.
Mais le survivant fait une
confusion lorsqu'il dit
qu'en 1915 le Ministre du
Sultan était Artin Amira.
Car Haroutioun (Artin)
Bezdjian (1771-1834) avait
été le Conseiller du Sultan
Mahmoud II (1808-1839)
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Hagop Tchertchian
Né en 1900 à Aïntab
Notre famille vivait en Cilicie dans le
quartier appelé "hrômgla" qui signifie "le quartier grec".
C'était là que Nércès Chenorhali avait fait sa repentance.
J'avais 15 ans quand je subis la déportation.
J'aurais préféré être aveugle pour ne pas
avoir vu ces scènes effroyables. Nous sommes arrivés à pied
jusque Homs, Hamma. En chemin, les Turcs ont rassemblé les
hommes et jeunes gens, soi-disant pour les faire entrer dans
l'armée turque. Or ils les ont emmenés pour construire la voie
de chemin de fer Berlin-Bagdad.
Ils travaillaient comme des bêtes, à coups de
fouet et de cravache, affamés, assoiffés.
Quant aux femmes et aux enfants, les mains et les pieds liés,
ils étaient en rang au bord de l'Euphrate pour être tués.
L'un de ces déportés, appelé Artin Démir (fer
, en turc) a réussi à briser les chaînes de ses mains, il s'est
jeté à l'eau, il a nagé sous l'eau, est arrivé jusque Pérétchig
et a demandé qu'on fasse venir sa femme et son enfant au bord de
l'eau pour qu'il les délivre aussi. Mais les Turcs ont tué Artin
par balles.
On disait que la patronne arménienne de
l'Hôtel Baron avait eu des conversations secrètes avec Djémal
Pacha, pour que les Arméniens ne soient pas envoyés à Der-Zor,
mais à Homs- Hamma pour qu'au moins ils restent en vie.
Djémal Pacha aurait dit: "Les Arméniens vont
écrire mon nom en lettres d'or". Et Djémal Pacha en effet a
donné aux Arméniens le conseil de changer leurs noms, en noms
turcs, pour rester en vie.
Le plus grand criminel de ce massacre était
Talaat.
Soghomon Tehlirian et Lévon Shant sont partis
à sa recherche. Mais il s'était sauvé à Berlin. Ils l'ont
poursuivi. Talaat changeait d'habit tous les jours pour ne pas
être reconnu, mais un jour au coin d'une rue, Tehlirian a crié:
"Talaat !" , celui-ci s'est retourné et Soghomon a appuyé sur la
gachette.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Bédros fils de
Sarkis Safarian
Né en 1901 à Moussa Lér
Village de Hadji Hapipli
Mon père avait été emmené dans
l'armée turque,
Mais il s'était sauvé. Les routes ont
été barrées.
Nous n'avons pas pu monter à Moussa
Lér.
Nous étions 20 maisonnées de notre
village.
Nous avons été déportés. Il y avait
un gendarme turc, il a giflé mon père. "Allez !"…Ils
nous ont conduits comme un troupeau de moutons. Nous
avons passé le fleuve Oronte (Vorondès). C'était la
nuit, ils nous ont laissés nous reposer. Une femme a mis
là un enfant au monde. Le matin, nous nous sommes remis
à marcher. Nous sommes passés par la ville d'Antioche.
(Andiok). Elle a été construite 300 ans avant J.C. Quand
nous sommes sortis d'Antioche, ma sœur a été enlevée.
Ils nous ont pillés.
Nous sommes arrivés à Hamma. Sous le
soleil brûlant, sur les pierres chaudes, ils ont dit:
"vous allez rester là". Les gens, ruisselant de sueur,
ont dressé les tentes, sont rentrés dedans. Le soleil
nous cuisait. Affamés, assoiffés, fatigués, malades, on
a tout souffert. Un homme criait pour un morceau de
pain, les Turcs l'ont attrapé, ils l'ont jeté tout
vivant dans une fosse.
Mon père nous a emmenés en ville. Il
a loué une maison pour nous abriter. Mais là aussi, un
crieur public est venu annoncer que tous ceux qui
logeraient des Arméniens seraient aussi déportés. Allez
! ils ont amené des chameaux et cette fois nous ont
emmenés à Homs.
De notre famille, beaucoup sont
morts.
De Stamboul, Talaat a donné l'ordre à
Djémal, qui était gouverneur de la province de Damas, de
ne pas laisser un seul chien dans les rues, c'est-à-dire
supprimer tous les Arméniens. Mais Djémal a été rusé, il
a fait tuer les chiens des rues et a dit aux Arméniens:
"changez vos noms, faites comme si vous étiez devenus
turcs." C'est ainsi que nous avons été sauvés, moi qui
m'appelais Apraham, je suis devenu Ibrahim, ma mère
Fatma et ma sœur Aïcha.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit d'Iskouhi Gochgarian
Née en 1902 à Moussa Lér
Quand Talaat est venu dans notre
village de Hoghoun Olouk, il a
annoncé que nous devions partir. A ce moment-là
j'étais à la fontaine chercher de l'eau. Je suis
rentrée à la maison en pleurant. J'ai vu que tout le
monde était alarmé. Les marmites étaient pleines,
les repas étaient prêts, il fallait les laisser et
monter dans la montagne.
Sur la montagne, les hommes ont
combattu.
Ils ont beaucoup lutté. Les
balles passaient et repassaient au-dessus de nos
têtes. Nous, nous sommes restés en vie.
Un jour l'un de nos hommes était
en train d'indiquer à un Turc le chemin des
positions de ceux de Tamlatchek, nos jeunes lui ont
coupé la langue, frappé l'oreille avec une hache,
ils l'ont couvert de pierres, ça a fait un tas, on
peut le voir jusqu'à ce jour sur la montagne. Ils
ont bien fait. Pourquoi allait-il montrer notre
chemin à l'ennemi ? Les Turcs avaient déjà attrapé
une vingtaine d'Arméniens, ils avaient circoncis
leurs enfants. Des milliers de Turcs se sont
précipités sur nous. Nous ne nous sommes pas rendus.
Ensuite nous avons dressé nos taies blanches en
l'air et à côté nous avons allumé des feux.
D'ailleurs nous avions décidé de nous jeter dans la
mer du haut des rocs et des rochers.
Mon frère s'est mis à pleurer: "
– Maman, n'y allons pas, ils vont nous jeter à la
mer !"
Huit jours plus tard, des
vaisseaux français sont venus, ils se sont arrêtés
en face de nous. Les Français dans des petits
bateaux ont fait la navette, ils nous ont emmenés
dans les grands vaisseaux. Nous avons tout laissé
dans la montagne. Nous n'avons sauvé que notre vie.
Mon père, le Patriarche Bolissian,
gardait les routes, nous sommes descendus au bord de
l'eau. Esaïe Haghoupian, qui était notre parrain,
est entré le dernier dans le bateau. Quand tout le
monde a été embarqué, le capitaine a regardé avec sa
longue-vue et a dit que notre place là-haut était
remplie de Turcs.
C'est ainsi que nous sommes
partis à Port Saïd. Mais quatre ans plus tard nous
sommes retournés à Moussa Lér.
En 1939, les Turcs sont revenus.
Cette fois, nous sommes partis à Anjar.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit d' Ardzvig fille de
Kaloust Tértchian
Née en 1910 à Van
Notre maison était dans la rue "Khatchpoghan",
il y avait deux étages.
Elle était entourée de buissons
de roses.
Nous vivions calmement. Nos
voisins étaient les Khantchian, Ararktsian,
Tertsaguian.
Lors de la 1ère
guerre, mon père s'était sauvé de l'armée turque.
Ils l'avaient trouvé et l'avaient emprisonné. Il
s'était échappé aussi de la prison. Les Turcs le
recherchaient, car il était aussi Tashnagtsagan.
Lors de sa fuite, au moment où il s'approchait de la
maison et allait sauter le mur, un Turc l'a remarqué
et a tiré dessus. De sorte que je n'avais déjà plus
de père.
Au moment de la déportation, nous
étions 8 personnes. La route a été très pénible,
tout le monde était fatigué. Nous avions faim et
soif.
Nous devions laisser sur le
chemin ceux qui mouraient et nous devions continuer
à marcher car les Turcs nous harcelaient. L'armée
russe voulait s'emparer de nous. Nous avons été
séparés. Nous sommes restés sans maîtres.
Les enfants orphelins ont été
ramassés.
Ma sœur Armig et moi avons été
mises dans un chariot fermé. On nous a conduites
d'abord à Iktir, puis à Anibemza, ensuite à Erevan.
Notre maison d'enfants se trouvait près de l'église
Sourp Astvadzadzine de Nork. La directrice était
Mademoiselle Azniv. Cette maison d'enfants était
celle d'Amergom.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Katchpérouhi fille d'Avédis
Chahinian
Née en 1908 à Van
Notre pays Van était très bien.
Nous vivions dans la rue Tcharl, c'était une belle
rue, l'eau jaillissait des deux bouts de la rue et
se déversait dans les deux bassins.
J'avais 4 oncles, les frères de
mon père, qui vivaient séparément.
Nous avions beaucoup de bêtes.
Mon père était armurier.
Nous étions 12 personnes dans
notre famille.
Ma mère était couturière. Elle
avait deux filles. Moi j'ai vécu toute mon enfance
dans des rêves, jusqu'à notre sortie de Van.
Mon père Avédis était un homme
tranquille. Quand il a appris que les Turcs allaient
venir, ils nous a rassemblés et nous sommes partis
avant les massacres. Mon père était armé, il a fait
monter maman sur un cheval, il nous a mis, ma sœur
et moi dans un sac à deux poches, et hop, nous nous
sommes mis en route. Il y avait aussi avec nous la
famille de mon oncle et ma grand'mère.
En route nous entendions déjà les
canonnades des Turcs. Nous nous abritions sous les
rochers. Moi j'avais peur, je pleurais. Mon oncle
m'a trouvée, il m'a donné à manger. Le convoi de
déportés arrivait derrière nous. Dans les rochers,
il y avait des gens couchés. Je croyais qu'ils
étaient vivants. Mais pas du tout ! ils avaient été
tués, il n'y avait personne pour les enterrer. Les
canonniers arrivaient. J'ai vu le prêtre tombé par
terre, il était mort. Il avait laissé ses affaires
sous les rochers. Ma mère lui a retiré ses vêtements
ecclésiastiques, elle les a remis à l'église
Boghos-Bedros d'Erevan. Mon oncle est mort en route.
Les Anglais et les Américains
nous ont aidés. Ils nous ont bien nourris, vêtus,
lavés et éduqués.
Ensuite les Turcs se sont
précipités sur Erevan. Mon père a rassemblé 25
hommes, il les a armés et ils se sont défendus
contre les Turcs. Il était commandant, il avait
participé à la bataille de Sartarabad. A peine
rentré à cheval à la maison, il a été appelé pour
aller combattre contre les Turcs.
De 1932 à 1937, mon père, en tant
que nationaliste, a été emprisonné. Toutes ses
balles et ses munitions, il les avait enterrées. Mon
pauvre papa, ils l'ont arrêté, ils l'ont envoyé à
Tachkent, et là-bas il est mort. Ils ont dit qu'il
était mort de faim.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Silva fille de Hovannès
Puzantian
Née en 1908 à Van
Notre famille était une famille
cultivée de Van. Des Français étaient venus à Van pour
faire connaître leur langue. Mon grand-père leur avait
réservé une chambre dans notre maison pour qu'ils se
consacrent à leur enseignement. Et cette école
s'appelait l'Ecole Puzantian. Nous avions une très
grande bibliothèque, qui s'enrichissait continuellement
de livres imprimés à l'étranger. Dans notre maison, il y
avait aussi une chambre réservée à Khrimian Hayrig, qui,
lorsqu'il rentrait de ses tournées, venait s'y reposer.
Mon père était un homme très gentil.
Il participait souvent aux réunions de partis, il
parlait librement, beaucoup lui disaient: "Hovann tu as
une bouche d'or".
A Van il y a eu de l'agitation
pendant longtemps. Les Turcs sont venus et ont fait des
enquêtes dans la ville et les environs au sujet des
Arméniens.
Un jour l'ordre est arrivé que nous
devions partir. Les Turcs ont envahi la paisible
population arménienne de Van et des environs. Les
Vanétsis ont été obligés de partir à pied. A ce
moment-là, mes parents m'ont perdue. Les soldats russes
m'ont trouvée, ils m'ont gardée. Soudain mon parrain m'a
vue et reconnue, il m'a saisie, il m'a mis sur son
cheval et nous sommes partis.
Les Turcs ont enlevé ma sœur Sirvart.
C'était une très jolie fille et gracieuse. Elle jouait
le rôle de Séta dans la pièce "Les Dieux Anciens" de
Shant.
Les Turcs massacraient ceux qu'ils
rencontraient. Ils coupaient les mains des hommes, les
pieds, ils leur plantaient des clous au front, ils leur
arrachaient les yeux, ils massacraient les enfants sous
les yeux de leurs parents, ou les parents devant les
yeux de leurs enfants, et ils prenaient plaisir à voir
tout cela. Leur but était de massacrer les Arméniens
jusqu'au dernier. Un million et demi d'Arméniens ont été
sacrifiés.
Nous sommes arrivés à Iktir,
complètement dénués de tout, puisque nous avions été
pillés. Nous avions faim et soif. Puis nous sommes
passés par le fleuve Araxe. La plupart de ceux de ma
famille étaient âgés, ils ne pouvaient pas marcher,
c'est pourquoi ils étaient restés à Van, et ont été
massacrés.
L'épidémie de typhus aussi a causé
beaucoup de victimes parmi nous. La faim, la maladie, un
état d'épouvante…
Mais nous avons tout supporté et
affronté héroïquement.
Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Nevart
fille d'Avédis Kévorkian
Née en 1910 à Alachguérd
Nous vivions paisiblement à Alachguérd.
Un jour, en 1915, les Turcs ont envahi
notre village. Ils ont attrapé les
hommes du village,
ils les ont enchaînés de force, ils les
ont poussés et les ont enfermés dans les
étables
auxquelles ils ont mis le feu.
Notre parentèle comptait 22 personnes,
mais notre famille se composait de 5
personnes: mon père,
ma mère, moi et mes deux sœurs.
Mon oncle, ses enfants et
petits-enfants, mes tantes, leurs
petits-enfants, ainsi que mes parents
ont été enfermés dans une étable et
incendiés.
Nous, les trois sœurs, sommes restées
orphelines, sans maître ni protecteur.
Sur le dur chemin de la déportation,
nous marchions avec difficulté sur les
cadavres suppliciés, massacrés. Enfin,
nous sommes arrivées à Iktir. Puis à
Oktempérian (devenu Armavir), dans le
village d'Evtchilar, qui était au bord
de l'Araz. Le lendemain matin,
l'épidémie de typhus s'est répandue
parmi les déportés.
Beaucoup sont morts là-bas. Ma sœur m'a
gardée. Nous sommes allées au village de
Tchanfita
de l'Oktempérian. De tout notre village,
ma sœur et moi étions les seules
survivantes.
Le Turc nous a massacrés, tués, rendus
orphelins, sans maison, sans terre, sans
proches parents, moi je ressens la
nostalgie de mes parents. Je ne revois
mes parents que dans mes rêves.
Mon mari Roupen avait une très grande
famille, qui a entièrement été massacrée
par les Turcs.
Le Turc nous a fait beaucoup de mal.
Dieu ne leur pardonnera pas ce qu'ils
ont fait.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Haïganouche Der-Bédrossian
Née en
1910 à Yetessia (Edesse)
Nous
avons été délogés au motif de "seferberlik"
(mobilisation). Nous étions trois frères et trois
sœurs.
Mon père
était forgeron:Nércès Démirdjian.
Il l'ont
gardé, disant que c'était un artisan. Il y avait
aussi un maréchal ferrant Nalpant, qui ferrait les
chevaux, et un autre qui était rétameur, il
travaillait l'étain.
Ils nous
ont emmenés dans un local, ça ressemblait à un
palais de justice.
Ils ont
changé nos noms, ils nous ont transformés en Turcs,
mon père est devenu Ahmed, mes frères devenus
Khalil, Iprahim, Mahmet, ma mère Fatma,, ma grand
sœur Tchakia, la cadette Eminé, et moi on m'a nommée
Pahiya. Nous sommes venus nous installer dans le
quartier turc.
Les Turcs
sont venus, demander ma grande sœur, mais nous ne
l'avons pas donnée;
mon père
a dit : nous l'avons donnée au fils de Nalpant. Car
il ne voulait pas qu'elle fasse partie des Turcs.
Les Turcs
faisaient le ramazan, nous devions jeûner pendant
toute la journée, ils venaient inspecter notre
langue pour voir si elle était blanche, si non ils
nous punissaient.
Quand les
Anglais sont arrivés, nous sommes redevenus
Arméniens.
Mon père
est allé chercher des orphelins, garçons et filles,
il les a ramenés à la maison.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit n° 145 de Aharon Manguerian
Né en 1903 à Hadjen
Quand on a été emmenés en déportation, nous avons
beaucoup souffert en route.
Pendant des jours, des semaines, affamés,
assoiffés, sous le soleil,
on nous faisait marcher. Un jour au bord de
l'Euphrate, des Allemands sont venus. Ils
mangeaient.
Nous étions déjà arrivés à Racca. Nous étions pieds
nus, nous les regardions, nous faisions le signe de
croix pour qu'ils aient pitié de nous.
Or nous avons vu que les aliments qui leur restaient
dans leur boîte, ils les ont jetés à l'eau.
Plusieurs garçons d'entre nous se sont jetés à
l'eau, deux se sont noyés.
L'eau de l'Euphrate contenait du sang, on ne pouvait
même pas la boire, les cadavres flottaient à la
surface, et nous, nous allions au fond pour boire de
l'eau propre.
Ceux qui ne pouvaient plus marcher, qui s'asseyaient
ou qui se couchaient par terre, en disant : "de
l'eau, de l'eau !" mouraient. De tous côtés, étaient
répandus des cadavres desséchés.
Nous avons vu la tragédie de Der Zor. Quand nous
nous avons combattu à Hadjen, nous voulions nous
venger de Der Zor *.
Il y avait un pacha turc de 80 ans, il avait pris
pour femme une petite fille qui avait perdu ses
parents. Nous sommes allés délivrer cette enfant.
Kémal a voulu supprimer le nom de Hadjen Il a brûlé
Hadjen, la plupart des Hadjentsis ont été brûlés
vifs. Mais nous ne sommes pas morts.
Ensuite j'ai été en Grèce, puis nous sommes venus en
Arménie.
Maintenant, dans NorHadjen, il y a notre monument,
et le musée.
* Il s'agit de l'autodéfense en 1920, du combat
héroïque de huit mois de Hadjen, auquel il a
participé.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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TEMOIGNAGES::
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Haïganouche Der-Bédrossian
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