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WAN © 2007

TÉMOIGNAGES

Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.

Récit de Haroutioun Dikran Dzoulikian

Né en 1896 à Guéssaria

"Pendant les massacres organisés dans la ville de Guessaria par le Sultan Abdul Hamid en 1896, mon père, qui devait mourir prématurément, Dikran Dzoulikian (Tchouloukian ou Tchouloukhian), était marié avec ma mère Kioulini Palamoudian.

Ma mère, jeune mariée, était à cette époque, enceinte de six mois de son premier enfant, quand les Turcs sont entrés dans leur maison.

Sous les yeux de ma mère, ils ont tué son mari, mon père, avec une hache. Devant ce spectacle effroyable, ma mère s'est mise à crier et à sangloter, les Turcs pour la faire taire lui ont donné un coup de hache sur la nuque, le sang a giclé, ma mère s'est sauvée, elle est montée sur la lucarne. Dehors les voisines l'appelaient pour qu'elles s'enfuient, elle a sauté de la lucarne, elle a rejoint les voisines, et ensemble elles ont couru vers un endroit plus sûr.

Par manque de soins médicaux, la blessure de sa nuque a saigné pendant trois jours, ensuite grâce à l'aide de ses voisines, elle a reçu des soins, elle a été recousue, la cicatrice de sa blessure lui est restée jusqu'à la fin de sa vie

Trois mois plus tard, je suis né. Les années ont passé. Nous avons vécu à Guessaria jusqu'en 1914, ensuite j'ai été en Egypte aider mes oncles, au Caire.

A Guessaria, ma mère, restée seule, sans aide, a été déportée en 1915, lors de la Grande Catastrophe, elle a été poussée sur les routes de l'exode, elle a subi toutes les privations, et après d'énormes difficultés, elle est arrivée au Caire, où elle a vécu dans notre famille jusqu'à sa mort en 1953.

Le père de ma femme Angèle, Andréas Tékéyan, avait aussi été tué par les Turcs en 1915., alors que sa fille aînée Saténig avait 10 ans, et la cadette Angèle 8 ans. La mère d'Angèle, donc ma belle-mère, Narikioul Mekhtchavakian-Tékéyan, avait eu 11 enfants, mais neuf d'entre eux étaient morts sur les routes de la déportation, seules les deux fillettes étaient restées en vie, leur mère les avait gardées avec elle, ainsi que la petite Marie, âgée de 6 ans, la fille de sa belle-sœur, avec de grandes difficultés et de terribles souffrances. Toutes les quatre avaient vécu le drame du désert de Der Zor.

Narikioul avait trouvé un âne, elle avait fait monter les fillettes sur son dos, et elle-même avait continué à marcher tout en les surveillant. Elle était arrivée en Syrie, dans la ville de Hama., où elle avait travaillé à carder la laine pour subvenir à leurs besoins. Ensuite elle avait envoyé de leurs nouvelles en Egypte à Fayoum où habitaient ses deux beaux-frères Diran et Puzant, qui étaient restés en vie, et grâce à leur aide elle avait pu se rendre en Egypte.

En 1930, au Caire, j'ai rencontré la fille cadette de Narikioul, Angèle. Nous nous sommes mariés. Nous avons eu 3 fils: Dikran, Antranig et Hagop.

En 1963, nous sommes tous venus en Arménie.


(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

 Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.

Récit de Mesrob Hagop Minassian

Né en 1910 à Samsoun

En 1914 quand la Guerre Mondiale a commencé les Turcs sont venus ramasser tous les hommes pour les faire entrer dans l'armée turque, mais ensuite nous avons appris qu'en chemin ils les avaient tués à coups de hache. Mon père était parmi eux.

Ensuite ce fut notre tour. Ils sont venus nous déloger tous, les jeunes filles, les femmes, les enfants et nous ont emmenés dans les déserts.

Comme on enlève le chevreau à sa mère, on m'a séparé de ma mère. Ils m'ont enterré dans un trou, mon corps était dans la terre, ils n'avaient laissé que ma tête dehors, en disant: "demain on tuera celui-là", et ils sont partis chercher des jolies filles. Les laides, ou bien ils les tuaient, ou bien ils les enterraient. Ils ouvraient le ventre des femmes enceintes pour savoir si l'enfant était un garçon ou une fille. Ils coupaient les bouts des seins des jeunes filles vierges, et tranchaient les seins des femmes et les posaient sur leurs épaules.

J'ai vu tout cela de mes propres yeux de l'endroit où j'étais enterré. Quand il a fait nuit, ces assassins m'ont laissé ainsi et sont partis. J'avais peur, je me suis mis à pleurer.

Un Turc qui passait m'a entendu, il est venu me tirer de là , il m'a sorti et m'a emmené chez lui. Il m'a conduit chez un mollah, ils m'ont circoncis. Ils m'ont exposé au milieu du village pour que les passants me voient, et sachent qu'il y a un musulman de plus. Il y avait là un autre enfant arménien comme moi. Ils l'avaient obligé à changer son nom et sa foi, il était grand, il a refusé. Les Turcs ont dit:"Kiavour ter, vouren" (c'est un guiavour, lapidez-le). Les Turcs rassemblés lui ont jeté tellement de pierres qu'il était couvert de sang. Moi je suis resté avec ce Turc, je gardais ses moutons.

Ma mère, Aréknaz était une belle femme. Elle aussi avait été sauvée par un autre Turc. Un jour mon maître m'a envoyé voir ma mère. J'ai été, il y avait quatre autres femmes qui appartenaient à ce Turc. Ma mère était là aussi, elle faisait des dolmas avec des feuilles de vigne. Ma mère m'a vu, elle ne m'a rien dit, elle ne m'a rien donné, elle a seulement trempé une feuille de vigne dans l'eau et me l'a donnée pour que je la mange. Je suis rentré très triste chez mon maître.

Mon maître m'a emmené chez le Mollah pour que j'apprenne le turc. Le Mollah, en guise de leçon, me disait: "Celui qui tue un guiavour, son âme ira au paradis ". J'avais très peur qu'ils me tuent aussi, mais j'avais été circoncis, ils me considéraient déjà comme un musulman. Mon maître me faisait travailler comme un esclave. Chaque jour il me disait: "Guiavour, chou koyounlar sour, kétir !" (Guiavour va chercher ces moutons et ramène-les) Ils me donnaient les travaux les plus humiliants à faire. Lui s'asseyait pour faire ses besoins et me disait : "guiavour, va chercher une pierre et nettoie-moi le derrière." Un jour que j'avais tardé à apporter la pierre, mon maître s'est mis en colère contre moi et a voulu me lancer une grosse pierre à la tête, mais sa belle-fille l'en a empêché, j'ai été sauvé, il ne m'a pas tué.

Un jour on nous a rassemblés, on nous a emmenés à Constantinople à Kadikugh. Là-bas j'ai été à l'école Aramian; j'y suis resté 3-4 ans. A Bolis, il y avait un bureau spécial, ils aidaient les survivants sans maître, sans personne.

Quand ce fut le moment d'aller en Arménie, nous sommes venus en chantant et en dansant. Mais ici aussi nous avons vu beaucoup de misères, il m'est arrivé beaucoup de malheurs, beaucoup… Mon cœur se serre quand je me rappelle ces événements et je m'étonne : comment ai-je pu rester vivant ?

 aveugle ?
 

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

 Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.

 

Récit de Aroussiag Néférian

 

Née en 1906 à Adana

A cette époque j'avais 9 ans. Ma tante a dit à maman: "où est-ce que tu emmènes cette enfant, en exil elle va mourir. Puisque des ordres ont été donnés que celles dont les maris servaient dans l'armée turque, leur famille ne serait pas déportée…!"

Mais nous, nous avions déjà vendu tous nos biens.

De sorte que nous sommes restées à Adana, dénuées de tout.

Ensuite, en 1921, quand les Français sont partis, les Turcs sont revenus, ils se sont mis à massacrer les Arméniens et les Grecs.

Nous avons tous laissé nos maisons et nos terres, et nous avons quitté Adana.

Nous sommes parties en Grèce.

En 1946 nous sommes venues en Arménie.

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

     Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Le récit de Serpouhie Magarian

Née en 1903 à Adana.

J'avais à peine 12 ans quand le gouvernement turc a envoyé environ 3000 soldats à Adana, pour qu'ils organisent la déportation des Arméniens d'Adana. Au début, les soldats turcs avaient peur d'entrer à Adana, car ils avaient peur que les Arméniens se révoltent.

Ils nous ont forcés à aller à pied, marcher et marcher. Affamés, assoiffés, malades, sans forces. Près de Der Zor, il y avait un endroit appelé Meskéné, les Arméniens ont dressé des tentes, ils y sont rentrés pour se reposer un peu. Tous les jours il y avait environ 200 personnes qui mouraient ou étaient mourants. Ils étaient tous enterrés, même ceux qui n'étaient pas encore morts. Un jour, ils ont voulu emmener ma tante et mon grand-père, qui avaient attrapé le typhus. Il y avait une épidémie. Mon père a supplié, insisté pour qu'ils n'emmènent pas sa sœur, il a donné les deux dernières lires d'or jaune qu'il avait…Ma tante avait 13 ans, elle avait une jolie petite fille appelée Aroussiag. Un matin, nous nous sommes levés, et nous avons vu que cette petite fille avait été enlevée. Nous l'avons cherchée en vain.

Enfin, les années ont passé. Nous devions revenir à Adana. Nous marchions, tenant la main de notre père. Nous avons appris que les Arméniennes qui avaient été enlevées avaient été libérées et étaient rassemblées dans une maison. Nous sommes allées voir.

Il y avait parmi elles une forte femme qui s'est approchée en disant: "oncle!" Mon père la regarde, il ne la reconnaît pas. Le gardien arménien qui surveillait, l'empêcha de s'approcher de nous. Cette femme s'est jetée à terre en pleurant et en appelant: "Oncle, Oncle, je suis Aroussiag, tu ne m'as pas reconnue ? Mon père l'a entendue, il s'est approché, mais le gardien ne l'a pas laissé.

-"Oncle, aide-moi !"

Il y avait là un prêtre. Mon père s'est approché de lui et lui a demandé: est-ce qu'il n'y a pas un établissement de bain ici ?

  • Non, mais moi je vais la faire laver.

Mon père lui a donné de l'argent, pour qu'ils la lavent, nettoient Aroussiag. Ils l'ont lavée, nettoyée et nous l'ont amenée, nous avons bavardé jusqu'au soir.

Le soir, nous devions nous séparer. Nous devions revenir le lendemain tout arranger officiellement. Aroussiag a dit: "Oncle, demande-leur de changer mon lit".

Mon père a aussi arrangé cela.

Or, le mari turc de cette jolie Arménienne, la poursuivait, il est venu jusque Adana, il a trouvé où nous habitions; il a dit: je vous donnerai une forte somme d'argent, mais rendez-moi ma femme.

Ils sont venus discuter avec mon père.

Mon père a demandé du temps pour réfléchir. Il a fait venir la fille de son autre sœur, pour lui demander son avis. Par son intermédiaire, ils ont interrogé Aroussiag. Elle a dit: Non, c'était un homme très bon, il m'a bien traitée, mais je ne veux pas être la femme d'un Turc.

Je suis enceinte, mais j'étranglerai l'enfant.

Et cela s'est passé exactement ainsi. Lors de l'accouchement, elle a réglé le problème de son enfant, et s'est tuée.

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Récit de Armig Kalousti Tertchian

Née en 1912 à Van

Moi j'étais très petite quand on a été expulsés de Van, j'avais à peine 3 ans. Mon père avait été incorporé dans l'armée turque, mais il s'était sauvé, il avait été trouvé, on l'avais mis en prison, et il s'était aussi sauvé de la prison.

Il était tashnagtsagan. Ils l'avaient torturé, puis tué par balle. De sorte que je ne souviens pas de lui. Mais je me rappelle qu'on m'a mis dans un chariot inconfortable, où il y avait beaucoup de petits enfants entassés les uns sur les autres, mais comme il y avait des planches de bois tout autour, nous sommes arrivés sains et saufs à Erévan. On nous a installés dans une maternelle à Nork près de l'église Sourp Astvadzadzine..

Plus tard, j'ai poursuivi mes études à la Faculté de Chimie. J'ai réussi tous mes examens et mes thèses et je suis entrée à l'Académie des Sciences d'Arménie. A l'Institut de Chimie, j'avais pour professeurs les professeurs Mentchoyan et Medniguian.

J'ai fait don de toutes mes forces à la science de ma patrie, et j'en ai été récompensée. Mais maintenant, avec ma sœur aînée Ardzvig nous vivons dans des conditions très dures et pénibles. Nous sommes handicapées toutes les deux, pensionnées, seules, et personne pour nous aider. Nous sommes donc toutes les deux des orphelines.

 

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Récit de Dzaghig fille de Kévork (épouse Tchinimian)

Née en 1910 à Iktir, Gorghp

Mon père s'appelait Kévork, ma mère Takouhi, mes oncles Kaloust, Manoug, Khétcho, Sarkis Mnatsagan.

Nous habitions dans une grande propriété,

séparément, mais nous nous entendions bien.

En 1915, mon père Kévork avait participé à la guerre à Erzeroum contre les Turcs. Ma mère Takouhi était restée à Goghp avec ses trois enfants. Sur le chemin de la déportation, les Turcs étaient sur les sommets dans les montagnes et nous tiraient dessus. Nous n'avions rien avec nous. Ma mère n'avait que ses enfants. Certains se sont sauvés. Ceux qui sont restés ont été tués.

Ensuite on nous a dit que les Turcs s'étaient retirés. Nous sommes revenus à Iktir. Nous avons passé l'hiver. Beaucoup sont morts. Les enfants de mon oncle sont morts de faim. Les maisons étaient saccagées. Le blé poussait de lui-même, nous ramassions ce blé, nous l'écrasions et le mangions.

Au printemps, ce fut de nouveau la déportation. Ma mère avait attaché le plus jeune enfant autour de sa taille, ma sœur lui tenait une main et moi l'autre.

Ma mère maudissait les Turcs car à cause d'eux mon frère et ma sœur sont morts. Dès qu'on parlait des Turcs, elle disait: "Le Turc a été responsable de l'effondrement de ma famille". Ma mère nous a amenés dans une maison maternelle.

Dans notre famille, il y avait nos cinq oncles, ils avaient tous des enfants. Maintenant il ne reste plus que moi et un petit-fils d'un de mes oncles. Les autres sont tous morts. De trente personnes, il ne reste que nous deux. Nous avons grandi dans cette maison maternelle d'Alexandropol. J'ai été à l'école, j'ai terminé mes études, j'ai travaillé comme institutrice. Pendant la guerre, j'étais directrice d'une école maternelle.

Mon mari, Chavarch Tchinimian, né en 1907, est arrivé à Berlin dans l'armée soviétique. C'est par miracle qu'il a échappé aux bombardements, il a seulement été blessé.

Notre génération a connu beaucoup de souffrances. La Catastrophe et la déportation, et la guerre anti-fasciste.

 

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

 

 

Récit de Barouyr Kévork Khatchadrian

Né en 1908 à Alachguérd, Yéréts

A l'époque de la Grande Catastrophe, j'étais petit, mais je me rappelle que notre famille comprenait mon père, ma mère, mes deux oncles, mes frères Roupén, Khosrov, ma sœur Héghiné. Puisque nous étions petits, les Russes nous ont amenés dans un chariot. En chemin, nous avons vu des villages en flammes, des maisons et des granges enveloppées de fumée. On disait que les Turcs les avaient remplies d'Arméniens et qu'ils les avaient incendiées. Le fleuve Mourad était plein de sang, de tous côtés il y avait des cadavres qui flottaient. Dans les montagnes, les soldats avaient emmené les jeunes filles, les avaient déshabillées et les obligeaient à danser. Nos volontaires les ont vus et se sont précipités sur eux. Ils ont tué les soldats turcs et ont délivré les jeunes filles.

Nos jeunes gens, organisés, nous défendaient, et nous sommes arrivés sains et saufs, sans voir que les Turcs nous poursuivaient et incendiaient tout.

Nous sommes arrivés à Iktir, puis à Etchmiadzine

En 1917, nous sommes restés 3 ans à Elecdane. Puis nous avons appris que nos terres étaient aux mains des Russes. Nous avons été de la gare de Massis à Sarighamich. Il n'y avait pas de place dans le train. Mon père nous a fait monter tous les trois sur le toit du train, c'est ainsi que nous sommes arrivés à Sarighamich. De Sarighamich nous sommes allés à pied à Tchamourlou. Arrivés là, nous avons appris que nos oncles avaient été déportés. Puis nous sommes allés chez nous. Nous avons vu que les Turcs avaient saccagé notre maison.

Les Turcs étaient devenus nos ennemis, et le sont restés. Puisqu'il y a entre nous des montagnes, eux sont Mahométans, et nous Chrétiens.

Aujourd'hui j'ai 90 ans, mais jusqu'à ce jour je me rappelle comment les Turcs nous ont délogés brutalement de nos maisons, de notre village, et nous ont rendus sans domicile. Ils ont volé aux Arméniens leur Arménie Orientale, ils se sont emparés de nos terres, quant aux Arméniens qui habitaient là-bas, ils les ont massacrés.

Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue à Erévan.

 

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Récit de Kioulinia Dzérouni Moussoyan

Née en 1903, à Kessap, Kalatouran

En 1915, nous avons été expulsés de nuit, on nous délogés, nous ne savions pas où on nous emmenait. Tous les pères avaient déjà été requis dans l'armée turque. Sur le chemin de l'exode, mon grand-père était vieux, il marchait difficilement, un gendarme turc est venu, il s'est mis à le battre. Ma mère a dit: "Pourquoi tu le frappes ? Tu ne vois pas qu'il est vieux ? Il ne peut pas marcher … Ce gendarme turc a eu un scrupule, il a été chercher je ne sais d'où, deux chameaux. Moi j'avais deux cousins, il en a fait asseoir un avec moi sur un chameau, l'autre avec ma sœur sur l'autre chameau, et ma mère avec son bébé sur un autre chameau, et mon grand-père avec nous. Nous avons continué notre route, et mon pauvre grand-père est mort de soif. Nous l'avons enterré sous une pierre. En route, il y avait une femme qui ne pouvait plus marcher, elle était fatiguée et avait soif, elle a laissé son bébé sous un arbuste. Ma mère lui a dit: C'est un péché, ne fais pas ça. Elle a répondu: je ne peux plus le porter.

Nous ne sommes pas arrivés jusque Der-Zor.

De ceux qui y entraient vivants, il ne restait plus personne. Là-bas, il y a eu beaucoup de tués. Nous, nous sommes arrivés dans le village de Hamma. Nous nous sommes logés dans la maison d'un Turc. C'étaient de très braves gens.

Mon oncle est tombé malade, il est mort. Le propriétaire est venu, et nous a dit: pourquoi ne nous avez-vous pas appelés cette nuit, nous aurions trouvé un moyen de soigner votre malade, de vous aider.

Ce village était un village turc. Ma sœur et moi, nous allions mendier. Maman nous disait: mon Dieu, faites attention, ne tombez pas aux mains des Turcs, ils enlèvent les filles arméniennes.

C'est pourquoi le prêtre de notre village, Der Bédros Aprahamian, a procédé en une nuit à Hamma au mariage de 30 Arméniennes selon le rite apostolique arménien, pour qu'elles ne tombent pas aux mains des Turcs. Le beau-père de mon oncle demanda à mon oncle d'épouser sa fille, pour qu'elle ne tombe pas entre les mains d'un Turc.

Avant la déportation, la population arménienne de Kessap s'élevait à 6000 habitants. Au retour, il n'en restait plus que 2200, calculez combien ont été sacrifiés.

En 1918, nous sommes venus de Hamma à Jérusalem. C'était l'armistice. En 1919, nous sommes revenus dans nos maisons; nous avons vu que tout était saccagé, incendié, en ruines.

Mais nos Kessaptsis sont des gens courageux, ils se sont mis petit à petit à reconstruire les maisons. Du côté de mon père, ils étaient six frères, ils en ont envoyé un en Amérique pour ne pas qu'il soit incorporé dans l'armée turque. Les cinq autres se sont donné la main et ont restauré nos maisons. Nous sommes restés au Kessap, dans le village de Pachourt.

En 1939, le sandjak a été donné aux Turcs. A cette époque, j'étais jeune mariée.

Ensuite en 1947, nous sommes venus comme un troupeau de moutons en Arménie. Combien de fois avons-nous déménagé à cause des Turcs! Le Turc ne peut pas être aimé. Ne le prends pas pour du basilic, tu ne supporteras pas l'odeur.

 

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Récit par Archalouys Tachdjian

Née en 1908 à Malatia

Quand nous avons été déportés de Malatia, j'étais encore enfant. Les Turcs sont venus, ils sont entrés dans notre maison. Nous étions sur le point de faire cuire le pain, nous avions allumé le "tonir". Ils sont venus nous obliger à sortir de la maison, ils se sont mis à tout déranger dans la maison, à saccager et piller. Ils ont vu qu'il y avait du cuir dans la maison, mon père était bottier. Ils ont dit entre eux: ne tuons pas cet homme, il peut nous être utile.

Ils se sont approchés de moi. Je tenais la main de mon père. L'un d'eux a dit à mon père: 'Donne-moi cette enfant, je vais l'emmener".

Moi j'ai commencé à pleurer et à crier!

"Papa ! Je ne veux pas partir !"

Mon père ne m'a pas donnée.

Ils nous ont emmenés dans un endroit qui s'appelait "Alma Oghlou Pakhtcha", mais ce n'était pas un jardin comme son nom l'indiquait, c'était un champ complètement désertique. Nous nous sommes couchés là la nuit., à la belle étoile.

Le matin, quand le jour s'est levé, ils sont venus nous trier: les Arméniens Chrétiens Apostoliques, d'un côté, les Protestants de l'autre, les Catholiques, de l'autre. Ils n'ont pas déporté les Protestants ni les Catholiques. Seuls, les Chrétiens apostoliques, devaient être déportés comme des moutons. Mais nous, comme les Zaptiyés, au moment du saccage avaient vu que mon père était bottier, et qu'il pouvait leur être utile, ils ont tamponné notre papier, et nous ont renvoyés chez nous. Nous sommes rentrés, et avons survécu.

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Le récit de Yéva Topalian

Née en 1909 à Mértin, village de Térig

Au village de Térig, notre famille était très grande. Mon père était marguillier, il s'occupait de l'église, et il tenait un commerce de tissus avec mes oncles, Ghazar, Mourad, Sevan, Mgrditch; ils étaient riches.

Au moment des massacres, dans le tumulte, ma petite sœur qui avait deux ans de moins que moi, et moi-même, nous avons été perdues, nous sommes restées dans des villages dadjigs.

Un jour notre mère est venue et nous a trouvées, mais nous a dit que notre père était mort, ou plutôt qu'il avait été tué. Avec maman nous sommes revenues à Mértin. Nos maisons avaient été incendiées.

Les Dadjigs avaient déjà enlevé ma sœur aînée âgée de 13 ans, puisque c'était déjà une grande fille.

Je ne sais pas si c'est un péché aux yeux de Dieu, mais ma jeune sœur et moi avons été obligées d'épouser nos deux cousins. Moi j'avais déjà 14 ans, et ma sœur 12 ans. Mais nous nous sommes mariées pour ne pas tomber aux mains des Turcs.

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

 

Le récit de Tovmas Haptchian

né en 1903 A Moussa Lér, Hoghoun-Olouk

J'avais 12 ans à l'époque de la lutte du Moussa Lér; je le rappelle que la foule grimpait en masse sur la montagne. Il y a eu des réunions au village, on disait que nous allions émigrer; il y avait du tumulte dans ces réunions: pourquoi émigrer ? Allons plutôt sur la montagne ! "Allons sur la montagne!" ont-ils dit.

Nous avons laissé nos maisons, nos terres et tout, et nous sommes montés.

Les villages de Hatchi Hapipli – Pitias, étaient perplexes, car le Révérend Père Nokhoutian était contre. Il a persuadé le peuple d'émigrer. Le village de Kapoutié a entièrement quitté les lieux. Seules 17 familles ont escaladé la montagne. En tout, il y eut environ 6000 personnes qui sont montées là-haut.

Sur la montagne, chaque famille s'est fait une chaumière en bois, puisqu'il n'y avait ni tuiles ni pierre. Les jeunes gens ont fabriqué des barricades. Ils ont fait deux assemblées, l'une pour l'administration et la vie civile, l'autre pour l'organisation des forces militaires. Ces organismes étaient formés. Le combat a commencé. La première riposte fut lancée par Sarkis Kapaghian. La lutte continua. L'ennemi vit qu'il y avait une forte opposition. Il recula.

Franz Werfel a présenté avec art le plan turc, et la lutte défensive du peuple arménien, un peuple qui était monté là-haut en connaissance de cause, et qui savait sciemment que la mort l'attendait. Le peuple, avec ses armes, s'abritait.

Il y eut trois principaux fronts. Notre peuple a toujours été victorieux. Ils savaient que nos provisions n'étaient pas considérables, que l'hiver approchait, mais nous avions l'espoir de vaincre, ou qu'un navire européen allié viendrait de la mer. Notre situation avait déjà été signalée.

Il y avait au sommet la Croix Rouge Chrétienne.

Le moment crucial était arrivé. Le premier navire européen qui nous a remarqué était le "Guiché" qui scrutait les rives. Avec leurs longues-vues, ils ont remarqué les étoffes, les gens. Ils sont venus, ils ont envoyé un bateau. Il y en avait parmi nous qui savaient le français, et l'anglais.

L'amiral a donné l'ordre: "qu'ils attendent une semaine !".

La montagne était couverte de brouillard. A dix pas, on ne se voyait pas. Soudain, le brouillard s'est levé, le navire est apparu. On a pris nos draps, on a fait des drapeaux, on les a agités joyeusement en l'air. Les Turcs ont fait un dernier effort pour se précipiter vers nous.

Mais les nôtres les ont repoussés, ils se sont battus héroïquement.

Une semaine plus tard, l'amirauté a encore envoyé quatre autres bateaux. Enfin l'amiral ""Tardif de Fournay " est venu lui-même dans le vaisseau "JEANNE D'ARC", il a vu que la situation était très pénible, il fallait de l'aide.

Il a pris sous sa responsabilité personnelle de faire monter à bord toute la communauté, il a laissé seulement la troupe de combat de protection, pour empêcher l'ennemi d'envahir les lieux.

Ils sont allés d'abord à Chypre, se sont présentés aux Anglais. Ceux-ci ont dit: "nous n'avons pas de place". Il y avait une nécessité de désinfection à Port-Saïd. On nous a conduit dans ce centre de désinfection. Les navires nous faisaient parvenir de la nourriture. Nous, habitants de Moussa Lér, sommes restés trois ans et demi à cet endroit. D'après les accords des alliés, le gouvernement d'Egypte nous a protégés.

Nous avions demandé au gouvernement français de nous aider, puisque notre lutte contre les Turcs n'était pas terminée. Nos jeunes gens s'entraînaient sous le drapeau français. Puis des volontaires ont été envoyés pour organiser une formation spéciale. Le Conseil National était d'accord. L'armée d'Orient arménienne a été créée avec des jeunes de 18 à 25 ans, sans exception. Ils ont été inscrits et envoyés à Chypre, qui était le centre militaire général..

Les Arméniens ont vaincu, sous les ordres du Général Allenby, l'armée turco-allemande, ils les ont poursuivis jusque la Cilicie. Et le projet de rendre la Cilicie un foyer arménien fut envisagé.

 

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Récit de  Robert fils de Khorén Kalonian

Né en 1912 à Kharpert

Mon père, le docteur Khorén, était diplômé de la faculté de médecine américaine. Il avait servi dans l'armée turque, comme médecin major et pharmacien. En conséquence, par ses fonctions, il avait circulé dans tous les vilayets, et avec les survivants des déportés arméniens, était arrivé jusque Der-Zor.

Il avait vu comment beaucoup avaient été remis sur pieds pour être tués, beaucoup l'avaient supplié de les aider, dans la mesure de ses possibilités, à les délivrer secrètement de cet enfer.

Il y avait à Kharpert une jolie fille appelée Esther. Les Turcs avaient attrapé sa mère et l'avaient battue pour qu'elle dise où était sa fille. La mère était morte sous les coups, mais elle n'avait pas dit où était sa fille. Il y avait une Arménienne qui avait épousé le Turc qui l'avait enlevée de force. Ce Turc apprit que sa femme voulait se sauver avec les Arméniens, il vient la nuit, prend son poignard et lui tranche la figure d'une oreille à l'autre.

Les Turcs convertissaient les petits enfants, ils disaient "Muhammet rassoul Allah" et les circoncisaient, c'est-à-dire que les enfants étaient circoncis, qu'ils portaient un autre nom, et étaient obligés de parler turc.

Mon grand-père paternel était révérend père. Quand les Turcs sont entrés à Kharpert, ils l'ont tué sur le toit de sa maison. Sa femme, Pampich Almast, était une femme virile, elle a commencé à lutter avec les Turcs, mais ceux-ci ont réussi à l'emmener; avec son fils Khorén, ils les ont turquifiés. Ils appelaient Khorén "khayroulla". Sa mère, Pampich Almast avait caché ses 60 pièces d'or, elle les avait données à son fils pour qu'il étudie et devienne médecin.

Les Turcs respectaient et aimaient beaucoup leur médecin major khayroulla. Ils lui avaient même assigné un garde pour qu'il n'aide pas soudain les Arméniens.

Un jour, les Turcs emmènent mon père jusque Palou, pour sauver un malade. Mon père sort des médicaments de son sac, soigne le malade. On lui donne une vache pour le remercier, mais ils lui disent: "Ne la mène pas dans Palou, que les Arméniens ne te voient pas, car cette vache a été volée aux Arméniens.

Un jour, à Kharpert, une belle jeune fille appelée Sirvart réussit à se sauver de chez les Turcs, elle vient à l'église arménienne. L'un des prêtres de l'église vient avec Sirvart voir mon père le docteur Khorén, pour qu'il aide Sirvart à partir en Amérique, où le père de la jeune fille s'était réfugié. Mais les Turcs l'ont appris, ils ont battu le prêtre, ils ont enlevé la jeune fille. Elle revient voir mon père, elle demande qu'il l'aide. Je ne sais pas comment a pu faire mon père, il a envoyé cette jeune fille à Constantinople, et de là elle est partie en Amérique.

Le "mutur" de Bolis l'apprend, il fait venir mon père et lui dit: Docteur khayroulla, j'ai appris que tu convertissais les jeunes arméniennes musulmanes au christianisme.

Mon père sent que sa situation est en danger.

Il avait déjà envoyé toutes les affaires de sa famille à Alep, par des chemins secrets à travers les montagnes. Il est venu de Bolis la nuit, s'est empressé de nous réunir, et nous nous sommes éloignés de Kharpert. Je me rappelle avec quelle difficulté nous avons traversé la haute montagne appelée "Tév-Pouyn" (cou de chameau), nous sommes arrivés dans une ville fortifiée appelée Dikranakerd, où il y avait de très grosses pastèques. Le fleuve Euphrate traversait la ville. Il était plein de boue et de cadavres. Devant la porte de la ville, un gendarme montait la garde. On nous a inspectés, nous sommes restés dans le khan. Le matin, nous sommes arrivés à Mertin. Nous sommes restés dans la maison d'un prêtre catholique.

Puis nous sommes montés dans un train, et nous avons passé la frontière turque. Nous avons poussé un soupir de soulagement, d'avoir été délivrés des gendarmes turcs. Enfin nous sommes allés à Alep, puis à Beyrouth, ensuite en Egypte, et en 1948 nous sommes venus en Arménie.

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

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