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Récit
recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Haroutioun Dikran Dzoulikian
Né en 1896 à Guéssaria
"Pendant les massacres organisés dans la
ville de Guessaria par le Sultan Abdul Hamid en 1896, mon
père, qui devait mourir prématurément, Dikran Dzoulikian
(Tchouloukian ou Tchouloukhian), était marié avec ma mère
Kioulini Palamoudian.
Ma mère, jeune mariée, était à cette
époque, enceinte de six mois de son premier enfant, quand
les Turcs sont entrés dans leur maison.
Sous les yeux de ma mère, ils ont tué son
mari, mon père, avec une hache. Devant ce spectacle
effroyable, ma mère s'est mise à crier et à sangloter, les
Turcs pour la faire taire lui ont donné un coup de hache sur
la nuque, le sang a giclé, ma mère s'est sauvée, elle est
montée sur la lucarne. Dehors les voisines l'appelaient pour
qu'elles s'enfuient, elle a sauté de la lucarne, elle a
rejoint les voisines, et ensemble elles ont couru vers un
endroit plus sûr.
Par manque de soins médicaux, la blessure
de sa nuque a saigné pendant trois jours, ensuite grâce à
l'aide de ses voisines, elle a reçu des soins, elle a été
recousue, la cicatrice de sa blessure lui est restée jusqu'à
la fin de sa vie
Trois mois plus tard, je suis né. Les
années ont passé. Nous avons vécu à Guessaria jusqu'en 1914,
ensuite j'ai été en Egypte aider mes oncles, au Caire.
A Guessaria, ma mère, restée seule, sans
aide, a été déportée en 1915, lors de la Grande Catastrophe,
elle a été poussée sur les routes de l'exode, elle a subi
toutes les privations, et après d'énormes difficultés, elle
est arrivée au Caire, où elle a vécu dans notre famille
jusqu'à sa mort en 1953.
Le père de ma femme Angèle, Andréas
Tékéyan, avait aussi été tué par les Turcs en 1915., alors
que sa fille aînée Saténig avait 10 ans, et la cadette
Angèle 8 ans. La mère d'Angèle, donc ma belle-mère,
Narikioul Mekhtchavakian-Tékéyan, avait eu 11 enfants, mais
neuf d'entre eux étaient morts sur les routes de la
déportation, seules les deux fillettes étaient restées en
vie, leur mère les avait gardées avec elle, ainsi que la
petite Marie, âgée de 6 ans, la fille de sa belle-sœur, avec
de grandes difficultés et de terribles souffrances. Toutes
les quatre avaient vécu le drame du désert de Der Zor.
Narikioul avait trouvé un âne, elle avait
fait monter les fillettes sur son dos, et elle-même avait
continué à marcher tout en les surveillant. Elle était
arrivée en Syrie, dans la ville de Hama., où elle avait
travaillé à carder la laine pour subvenir à leurs besoins.
Ensuite elle avait envoyé de leurs nouvelles en Egypte à
Fayoum où habitaient ses deux beaux-frères Diran et Puzant,
qui étaient restés en vie, et grâce à leur aide elle avait
pu se rendre en Egypte.
En 1930, au Caire, j'ai rencontré la
fille cadette de Narikioul, Angèle. Nous nous sommes mariés.
Nous avons eu 3 fils: Dikran, Antranig et Hagop.
En 1963, nous sommes tous venus en
Arménie.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Mesrob
Hagop Minassian
Né en 1910 à Samsoun
En 1914 quand la
Guerre Mondiale a commencé les Turcs
sont venus ramasser tous les hommes pour
les faire entrer dans l'armée turque,
mais ensuite nous avons appris qu'en
chemin ils les avaient tués à coups de
hache. Mon père était parmi eux.
Ensuite ce fut notre
tour. Ils sont venus nous déloger tous,
les jeunes filles, les femmes, les
enfants et nous ont emmenés dans les
déserts.
Comme on enlève le
chevreau à sa mère, on m'a séparé de ma
mère. Ils m'ont enterré dans un trou,
mon corps était dans la terre, ils
n'avaient laissé que ma tête dehors, en
disant: "demain on tuera celui-là", et
ils sont partis chercher des jolies
filles. Les laides, ou bien ils les
tuaient, ou bien ils les enterraient.
Ils ouvraient le ventre des femmes
enceintes pour savoir si l'enfant était
un garçon ou une fille. Ils coupaient
les bouts des seins des jeunes filles
vierges, et tranchaient les seins des
femmes et les posaient sur leurs
épaules.
J'ai vu tout cela de
mes propres yeux de l'endroit où j'étais
enterré. Quand il a fait nuit, ces
assassins m'ont laissé ainsi et sont
partis. J'avais peur, je me suis mis à
pleurer.
Un Turc qui passait
m'a entendu, il est venu me tirer de là
, il m'a sorti et m'a emmené chez lui.
Il m'a conduit chez un mollah, ils m'ont
circoncis. Ils m'ont exposé au milieu du
village pour que les passants me voient,
et sachent qu'il y a un musulman de
plus. Il y avait là un autre enfant
arménien comme moi. Ils l'avaient obligé
à changer son nom et sa foi, il était
grand, il a refusé. Les Turcs ont
dit:"Kiavour ter, vouren" (c'est un
guiavour, lapidez-le). Les Turcs
rassemblés lui ont jeté tellement de
pierres qu'il était couvert de sang. Moi
je suis resté avec ce Turc, je gardais
ses moutons.
Ma mère, Aréknaz
était une belle femme. Elle aussi avait
été sauvée par un autre Turc. Un jour
mon maître m'a envoyé voir ma mère. J'ai
été, il y avait quatre autres femmes qui
appartenaient à ce Turc. Ma mère était
là aussi, elle faisait des dolmas avec
des feuilles de vigne. Ma mère m'a vu,
elle ne m'a rien dit, elle ne m'a rien
donné, elle a seulement trempé une
feuille de vigne dans l'eau et me l'a
donnée pour que je la mange. Je suis
rentré très triste chez mon maître.
Mon maître m'a emmené
chez le Mollah pour que j'apprenne le
turc. Le Mollah, en guise de leçon, me
disait: "Celui qui tue un guiavour, son
âme ira au paradis ". J'avais très peur
qu'ils me tuent aussi, mais j'avais été
circoncis, ils me considéraient déjà
comme un musulman. Mon maître me faisait
travailler comme un esclave. Chaque jour
il me disait: "Guiavour, chou koyounlar
sour, kétir !" (Guiavour va chercher ces
moutons et ramène-les) Ils me donnaient
les travaux les plus humiliants à faire.
Lui s'asseyait pour faire ses besoins et
me disait : "guiavour, va chercher une
pierre et nettoie-moi le derrière." Un
jour que j'avais tardé à apporter la
pierre, mon maître s'est mis en colère
contre moi et a voulu me lancer une
grosse pierre à la tête, mais sa
belle-fille l'en a empêché, j'ai été
sauvé, il ne m'a pas tué.
Un jour on nous a
rassemblés, on nous a emmenés à
Constantinople à Kadikugh. Là-bas j'ai
été à l'école Aramian; j'y suis resté
3-4 ans. A Bolis, il y avait un bureau
spécial, ils aidaient les survivants
sans maître, sans personne.
Quand ce fut le
moment d'aller en Arménie, nous sommes
venus en chantant et en dansant. Mais
ici aussi nous avons vu beaucoup de
misères, il m'est arrivé beaucoup de
malheurs, beaucoup… Mon cœur se serre
quand je me rappelle ces événements et
je m'étonne : comment ai-je pu rester
vivant ?
aveugle ?
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Aroussiag Néférian
Née en
1906 à Adana
A cette époque j'avais 9 ans. Ma
tante a dit à maman: "où est-ce que
tu emmènes cette enfant, en exil
elle va mourir. Puisque des ordres
ont été donnés que celles dont les
maris servaient dans l'armée turque,
leur famille ne serait pas
déportée…!"
Mais nous, nous avions déjà vendu
tous nos biens.
De sorte que nous sommes restées à
Adana, dénuées de tout.
Ensuite, en 1921, quand les Français
sont partis, les Turcs sont revenus,
ils se sont mis à massacrer les
Arméniens et les Grecs.
Nous avons tous laissé nos maisons
et nos terres, et nous avons quitté
Adana.
Nous sommes parties en Grèce.
En 1946 nous sommes venues en
Arménie.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Le récit de
Serpouhie Magarian
Née en 1903 à Adana.
J'avais à peine 12 ans quand le gouvernement
turc a envoyé environ 3000 soldats à Adana, pour qu'ils
organisent la déportation des Arméniens d'Adana. Au début, les
soldats turcs avaient peur d'entrer à Adana, car ils avaient
peur que les Arméniens se révoltent.
Ils nous ont forcés à aller à pied, marcher
et marcher. Affamés, assoiffés, malades, sans forces. Près de
Der Zor, il y avait un endroit appelé Meskéné, les Arméniens ont
dressé des tentes, ils y sont rentrés pour se reposer un peu.
Tous les jours il y avait environ 200 personnes qui mouraient ou
étaient mourants. Ils étaient tous enterrés, même ceux qui
n'étaient pas encore morts. Un jour, ils ont voulu emmener ma
tante et mon grand-père, qui avaient attrapé le typhus. Il y
avait une épidémie. Mon père a supplié, insisté pour qu'ils
n'emmènent pas sa sœur, il a donné les deux dernières lires d'or
jaune qu'il avait…Ma tante avait 13 ans, elle avait une jolie
petite fille appelée Aroussiag. Un matin, nous nous sommes
levés, et nous avons vu que cette petite fille avait été
enlevée. Nous l'avons cherchée en vain.
Enfin, les années ont passé. Nous devions
revenir à Adana. Nous marchions, tenant la main de notre père.
Nous avons appris que les Arméniennes qui avaient été enlevées
avaient été libérées et étaient rassemblées dans une maison.
Nous sommes allées voir.
Il y avait parmi elles une forte femme qui
s'est approchée en disant: "oncle!" Mon père la regarde, il ne
la reconnaît pas. Le gardien arménien qui surveillait, l'empêcha
de s'approcher de nous. Cette femme s'est jetée à terre en
pleurant et en appelant: "Oncle, Oncle, je suis Aroussiag, tu ne
m'as pas reconnue ? Mon père l'a entendue, il s'est approché,
mais le gardien ne l'a pas laissé.
-"Oncle, aide-moi !"
Il y avait là un prêtre. Mon père s'est
approché de lui et lui a demandé: est-ce qu'il n'y a pas un
établissement de bain ici ?
Mon père lui a donné de l'argent, pour qu'ils
la lavent, nettoient Aroussiag. Ils l'ont lavée, nettoyée et
nous l'ont amenée, nous avons bavardé jusqu'au soir.
Le soir, nous devions nous séparer. Nous
devions revenir le lendemain tout arranger officiellement.
Aroussiag a dit: "Oncle, demande-leur de changer mon lit".
Mon père a aussi arrangé cela.
Or, le mari turc de cette jolie Arménienne,
la poursuivait, il est venu jusque Adana, il a trouvé où nous
habitions; il a dit: je vous donnerai une forte somme d'argent,
mais rendez-moi ma femme.
Ils sont venus discuter avec mon père.
Mon père a demandé du temps pour réfléchir.
Il a fait venir la fille de son autre sœur, pour lui demander
son avis. Par son intermédiaire, ils ont interrogé Aroussiag.
Elle a dit: Non, c'était un homme très bon, il m'a bien traitée,
mais je ne veux pas être la femme d'un Turc.
Je suis enceinte, mais j'étranglerai
l'enfant.
Et cela s'est passé exactement ainsi. Lors de
l'accouchement, elle a réglé le problème de son enfant, et s'est
tuée.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Armig Kalousti Tertchian
Née en 1912 à Van
Moi j'étais très petite quand on a
été expulsés de Van, j'avais à peine 3 ans. Mon père
avait été incorporé dans l'armée turque, mais il s'était
sauvé, il avait été trouvé, on l'avais mis en prison, et
il s'était aussi sauvé de la prison.
Il était tashnagtsagan. Ils l'avaient
torturé, puis tué par balle. De sorte que je ne souviens
pas de lui. Mais je me rappelle qu'on m'a mis dans un
chariot inconfortable, où il y avait beaucoup de petits
enfants entassés les uns sur les autres, mais comme il y
avait des planches de bois tout autour, nous sommes
arrivés sains et saufs à Erévan. On nous a installés
dans une maternelle à Nork près de l'église Sourp
Astvadzadzine..
Plus tard, j'ai poursuivi mes études
à la Faculté de Chimie. J'ai réussi tous mes examens et
mes thèses et je suis entrée à l'Académie des Sciences
d'Arménie. A l'Institut de Chimie, j'avais pour
professeurs les professeurs Mentchoyan et Medniguian.
J'ai fait don de toutes mes forces à
la science de ma patrie, et j'en ai été récompensée.
Mais maintenant, avec ma sœur aînée Ardzvig nous vivons
dans des conditions très dures et pénibles. Nous sommes
handicapées toutes les deux, pensionnées, seules, et
personne pour nous aider. Nous sommes donc toutes les
deux des orphelines.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Dzaghig fille de Kévork
(épouse Tchinimian)
Née en 1910 à Iktir, Gorghp
Mon père s'appelait Kévork, ma mère
Takouhi, mes oncles Kaloust, Manoug, Khétcho, Sarkis
Mnatsagan.
Nous habitions dans une grande
propriété,
séparément, mais nous nous entendions
bien.
En 1915, mon père Kévork avait
participé à la guerre à Erzeroum contre les Turcs. Ma
mère Takouhi était restée à Goghp avec ses trois
enfants. Sur le chemin de la déportation, les Turcs
étaient sur les sommets dans les montagnes et nous
tiraient dessus. Nous n'avions rien avec nous. Ma mère
n'avait que ses enfants. Certains se sont sauvés. Ceux
qui sont restés ont été tués.
Ensuite on nous a dit que les Turcs
s'étaient retirés. Nous sommes revenus à Iktir. Nous
avons passé l'hiver. Beaucoup sont morts. Les enfants de
mon oncle sont morts de faim. Les maisons étaient
saccagées. Le blé poussait de lui-même, nous ramassions
ce blé, nous l'écrasions et le mangions.
Au printemps, ce fut de nouveau la
déportation. Ma mère avait attaché le plus jeune enfant
autour de sa taille, ma sœur lui tenait une main et moi
l'autre.
Ma mère maudissait les Turcs car à
cause d'eux mon frère et ma sœur sont morts. Dès qu'on
parlait des Turcs, elle disait: "Le Turc a été
responsable de l'effondrement de ma famille". Ma mère
nous a amenés dans une maison maternelle.
Dans notre famille, il y avait nos
cinq oncles, ils avaient tous des enfants. Maintenant il
ne reste plus que moi et un petit-fils d'un de mes
oncles. Les autres sont tous morts. De trente personnes,
il ne reste que nous deux. Nous avons grandi dans cette
maison maternelle d'Alexandropol. J'ai été à l'école,
j'ai terminé mes études, j'ai travaillé comme
institutrice. Pendant la guerre, j'étais directrice
d'une école maternelle.
Mon mari, Chavarch Tchinimian, né en
1907, est arrivé à Berlin dans l'armée soviétique. C'est
par miracle qu'il a échappé aux bombardements, il a
seulement été blessé.
Notre génération a connu beaucoup de
souffrances. La Catastrophe et la déportation, et la
guerre anti-fasciste.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Barouyr Kévork Khatchadrian
Né en 1908 à Alachguérd, Yéréts
A l'époque de la Grande Catastrophe,
j'étais petit, mais je me rappelle que notre famille
comprenait mon père, ma mère, mes deux oncles, mes
frères Roupén, Khosrov, ma sœur Héghiné. Puisque nous
étions petits, les Russes nous ont amenés dans un
chariot. En chemin, nous avons vu des villages en
flammes, des maisons et des granges enveloppées de
fumée. On disait que les Turcs les avaient remplies
d'Arméniens et qu'ils les avaient incendiées. Le fleuve
Mourad était plein de sang, de tous côtés il y avait des
cadavres qui flottaient. Dans les montagnes, les soldats
avaient emmené les jeunes filles, les avaient
déshabillées et les obligeaient à danser. Nos
volontaires les ont vus et se sont précipités sur eux.
Ils ont tué les soldats turcs et ont délivré les jeunes
filles.
Nos jeunes gens, organisés, nous
défendaient, et nous sommes arrivés sains et saufs, sans
voir que les Turcs nous poursuivaient et incendiaient
tout.
Nous sommes arrivés à Iktir, puis à
Etchmiadzine
En 1917, nous sommes restés 3 ans à
Elecdane. Puis nous avons appris que nos terres étaient
aux mains des Russes. Nous avons été de la gare de
Massis à Sarighamich. Il n'y avait pas de place dans le
train. Mon père nous a fait monter tous les trois sur le
toit du train, c'est ainsi que nous sommes arrivés à
Sarighamich. De Sarighamich nous sommes allés à pied à
Tchamourlou. Arrivés là, nous avons appris que nos
oncles avaient été déportés. Puis nous sommes allés chez
nous. Nous avons vu que les Turcs avaient saccagé notre
maison.
Les Turcs étaient devenus nos
ennemis, et le sont restés. Puisqu'il y a entre nous des
montagnes, eux sont Mahométans, et nous Chrétiens.
Aujourd'hui j'ai 90 ans, mais jusqu'à
ce jour je me rappelle comment les Turcs nous ont
délogés brutalement de nos maisons, de notre village, et
nous ont rendus sans domicile. Ils ont volé aux
Arméniens leur Arménie Orientale, ils se sont emparés de
nos terres, quant aux Arméniens qui habitaient là-bas,
ils les ont massacrés.
Récit recueilli par Verjine Svazlian,
ethnologue à Erévan.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Kioulinia Dzérouni
Moussoyan
Née en 1903, à Kessap, Kalatouran
En 1915, nous avons été expulsés de
nuit, on nous délogés, nous ne savions pas où on nous
emmenait. Tous les pères avaient déjà été requis dans
l'armée turque. Sur le chemin de l'exode, mon grand-père
était vieux, il marchait difficilement, un gendarme turc
est venu, il s'est mis à le battre. Ma mère a dit:
"Pourquoi tu le frappes ? Tu ne vois pas qu'il est vieux
? Il ne peut pas marcher … Ce gendarme turc a eu un
scrupule, il a été chercher je ne sais d'où, deux
chameaux. Moi j'avais deux cousins, il en a fait asseoir
un avec moi sur un chameau, l'autre avec ma sœur sur
l'autre chameau, et ma mère avec son bébé sur un autre
chameau, et mon grand-père avec nous. Nous avons
continué notre route, et mon pauvre grand-père est mort
de soif. Nous l'avons enterré sous une pierre. En route,
il y avait une femme qui ne pouvait plus marcher, elle
était fatiguée et avait soif, elle a laissé son bébé
sous un arbuste. Ma mère lui a dit: C'est un péché, ne
fais pas ça. Elle a répondu: je ne peux plus le porter.
Nous ne sommes pas arrivés jusque
Der-Zor.
De ceux qui y entraient vivants, il
ne restait plus personne. Là-bas, il y a eu beaucoup de
tués. Nous, nous sommes arrivés dans le village de
Hamma. Nous nous sommes logés dans la maison d'un Turc.
C'étaient de très braves gens.
Mon oncle est tombé malade, il est
mort. Le propriétaire est venu, et nous a dit: pourquoi
ne nous avez-vous pas appelés cette nuit, nous aurions
trouvé un moyen de soigner votre malade, de vous aider.
Ce village était un village turc. Ma
sœur et moi, nous allions mendier. Maman nous disait:
mon Dieu, faites attention, ne tombez pas aux mains des
Turcs, ils enlèvent les filles arméniennes.
C'est pourquoi le prêtre de notre
village, Der Bédros Aprahamian, a procédé en une nuit à
Hamma au mariage de 30 Arméniennes selon le rite
apostolique arménien, pour qu'elles ne tombent pas aux
mains des Turcs. Le beau-père de mon oncle demanda à mon
oncle d'épouser sa fille, pour qu'elle ne tombe pas
entre les mains d'un Turc.
Avant la déportation, la population
arménienne de Kessap s'élevait à 6000 habitants. Au
retour, il n'en restait plus que 2200, calculez combien
ont été sacrifiés.
En 1918, nous sommes venus de Hamma à
Jérusalem. C'était l'armistice. En 1919, nous sommes
revenus dans nos maisons; nous avons vu que tout était
saccagé, incendié, en ruines.
Mais nos Kessaptsis sont des gens
courageux, ils se sont mis petit à petit à reconstruire
les maisons. Du côté de mon père, ils étaient six
frères, ils en ont envoyé un en Amérique pour ne pas
qu'il soit incorporé dans l'armée turque. Les cinq
autres se sont donné la main et ont restauré nos
maisons. Nous sommes restés au Kessap, dans le village
de Pachourt.
En 1939, le sandjak a été donné aux
Turcs. A cette époque, j'étais jeune mariée.
Ensuite en 1947, nous sommes venus
comme un troupeau de moutons en Arménie. Combien de fois
avons-nous déménagé à cause des Turcs! Le Turc ne peut
pas être aimé. Ne le prends pas pour du basilic, tu ne
supporteras pas l'odeur.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit par Archalouys Tachdjian
Née en 1908 à Malatia
Quand nous avons été déportés de Malatia, j'étais
encore enfant. Les Turcs sont venus, ils sont entrés
dans notre maison. Nous étions sur le point de faire
cuire le pain, nous avions allumé le "tonir". Ils sont
venus nous obliger à sortir de la maison, ils se sont
mis à tout déranger dans la maison, à saccager et
piller. Ils ont vu qu'il y avait du cuir dans la maison,
mon père était bottier. Ils ont dit entre eux: ne tuons
pas cet homme, il peut nous être utile.
Ils se sont approchés de moi. Je tenais la main de
mon père. L'un d'eux a dit à mon père: 'Donne-moi cette
enfant, je vais l'emmener".
Moi j'ai commencé à pleurer et à crier!
"Papa ! Je ne veux pas partir !"
Mon père ne m'a pas donnée.
Ils nous ont emmenés dans un endroit
qui s'appelait "Alma Oghlou Pakhtcha", mais ce n'était
pas un jardin comme son nom l'indiquait, c'était un
champ complètement désertique. Nous nous sommes couchés
là la nuit., à la belle étoile.
Le matin, quand le jour s'est levé,
ils sont venus nous trier: les Arméniens Chrétiens
Apostoliques, d'un côté, les Protestants de l'autre, les
Catholiques, de l'autre. Ils n'ont pas déporté les
Protestants ni les Catholiques. Seuls, les Chrétiens
apostoliques, devaient être déportés comme des moutons.
Mais nous, comme les Zaptiyés, au moment du saccage
avaient vu que mon père était bottier, et qu'il pouvait
leur être utile, ils ont tamponné notre papier, et nous
ont renvoyés chez nous. Nous sommes rentrés, et avons
survécu.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Le récit de Yéva Topalian
Née en 1909 à Mértin, village de Térig
Au village de Térig, notre famille était très grande. Mon
père était marguillier, il s'occupait de l'église, et il tenait un commerce
de tissus avec mes oncles, Ghazar, Mourad, Sevan, Mgrditch; ils étaient
riches.
Au moment des massacres, dans le tumulte, ma petite sœur
qui avait deux ans de moins que moi, et moi-même, nous avons été perdues,
nous sommes restées dans des villages dadjigs.
Un jour notre mère est venue et nous a trouvées, mais
nous a dit que notre père était mort, ou plutôt qu'il avait été tué. Avec
maman nous sommes revenues à Mértin. Nos maisons avaient été incendiées.
Les Dadjigs avaient déjà enlevé ma sœur aînée âgée de 13
ans, puisque c'était déjà une grande fille.
Je ne sais pas si c'est un péché aux yeux de Dieu, mais
ma jeune sœur et moi avons été obligées d'épouser nos deux cousins. Moi
j'avais déjà 14 ans, et ma sœur 12 ans. Mais nous nous sommes mariées pour
ne pas tomber aux mains des Turcs.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Le récit de Tovmas Haptchian
né en 1903 A Moussa Lér,
Hoghoun-Olouk
J'avais 12 ans à l'époque de la lutte
du Moussa Lér; je le rappelle que la foule grimpait en
masse sur la montagne. Il y a eu des réunions au
village, on disait que nous allions émigrer; il y avait
du tumulte dans ces réunions: pourquoi émigrer ? Allons
plutôt sur la montagne ! "Allons sur la montagne!"
ont-ils dit.
Nous avons laissé nos maisons, nos
terres et tout, et nous sommes montés.
Les villages de Hatchi Hapipli –
Pitias, étaient perplexes, car le Révérend Père
Nokhoutian était contre. Il a persuadé le peuple
d'émigrer. Le village de Kapoutié a entièrement quitté
les lieux. Seules 17 familles ont escaladé la montagne.
En tout, il y eut environ 6000 personnes qui sont
montées là-haut.
Sur la montagne, chaque famille s'est
fait une chaumière en bois, puisqu'il n'y avait ni
tuiles ni pierre. Les jeunes gens ont fabriqué des
barricades. Ils ont fait deux assemblées, l'une pour
l'administration et la vie civile, l'autre pour
l'organisation des forces militaires. Ces organismes
étaient formés. Le combat a commencé. La première
riposte fut lancée par Sarkis Kapaghian. La lutte
continua. L'ennemi vit qu'il y avait une forte
opposition. Il recula.
Franz Werfel a présenté avec art le
plan turc, et la lutte défensive du peuple arménien, un
peuple qui était monté là-haut en connaissance de cause,
et qui savait sciemment que la mort l'attendait. Le
peuple, avec ses armes, s'abritait.
Il y eut trois principaux fronts.
Notre peuple a toujours été victorieux. Ils savaient que
nos provisions n'étaient pas considérables, que l'hiver
approchait, mais nous avions l'espoir de vaincre, ou
qu'un navire européen allié viendrait de la mer. Notre
situation avait déjà été signalée.
Il y avait au sommet la Croix Rouge
Chrétienne.
Le moment crucial était arrivé. Le
premier navire européen qui nous a remarqué était le "Guiché"
qui scrutait les rives. Avec leurs longues-vues, ils ont
remarqué les étoffes, les gens. Ils sont venus, ils ont
envoyé un bateau. Il y en avait parmi nous qui savaient
le français, et l'anglais.
L'amiral a donné l'ordre: "qu'ils
attendent une semaine !".
La montagne était couverte de
brouillard. A dix pas, on ne se voyait pas. Soudain, le
brouillard s'est levé, le navire est apparu. On a pris
nos draps, on a fait des drapeaux, on les a agités
joyeusement en l'air. Les Turcs ont fait un dernier
effort pour se précipiter vers nous.
Mais les nôtres les ont repoussés,
ils se sont battus héroïquement.
Une semaine plus tard, l'amirauté a
encore envoyé quatre autres bateaux. Enfin l'amiral
""Tardif de Fournay " est venu lui-même dans le vaisseau
"JEANNE D'ARC", il a vu que la situation était très
pénible, il fallait de l'aide.
Il a pris sous sa responsabilité
personnelle de faire monter à bord toute la communauté,
il a laissé seulement la troupe de combat de protection,
pour empêcher l'ennemi d'envahir les lieux.
Ils sont allés d'abord à Chypre, se
sont présentés aux Anglais. Ceux-ci ont dit: "nous
n'avons pas de place". Il y avait une nécessité de
désinfection à Port-Saïd. On nous a conduit dans ce
centre de désinfection. Les navires nous faisaient
parvenir de la nourriture. Nous, habitants de Moussa Lér,
sommes restés trois ans et demi à cet endroit. D'après
les accords des alliés, le gouvernement d'Egypte nous a
protégés.
Nous avions demandé au gouvernement
français de nous aider, puisque notre lutte contre les
Turcs n'était pas terminée. Nos jeunes gens
s'entraînaient sous le drapeau français. Puis des
volontaires ont été envoyés pour organiser une formation
spéciale. Le Conseil National était d'accord. L'armée
d'Orient arménienne a été créée avec des jeunes de 18 à
25 ans, sans exception. Ils ont été inscrits et envoyés
à Chypre, qui était le centre militaire général..
Les Arméniens ont vaincu, sous les
ordres du Général Allenby, l'armée turco-allemande, ils
les ont poursuivis jusque la Cilicie. Et le projet de
rendre la Cilicie un foyer arménien fut envisagé.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Robert fils de
Khorén Kalonian
Né en 1912 à Kharpert
Mon père, le docteur Khorén, était
diplômé de la faculté de médecine américaine. Il avait servi dans l'armée
turque, comme médecin major et pharmacien. En conséquence, par ses
fonctions, il avait circulé dans tous les vilayets, et avec les survivants
des déportés arméniens, était arrivé jusque Der-Zor.
Il avait vu comment beaucoup avaient été remis sur pieds
pour être tués, beaucoup l'avaient supplié de les aider, dans la mesure de
ses possibilités, à les délivrer secrètement de cet enfer.
Il y avait à Kharpert une jolie fille appelée Esther. Les
Turcs avaient attrapé sa mère et l'avaient battue pour qu'elle dise où était
sa fille. La mère était morte sous les coups, mais elle n'avait pas dit où
était sa fille. Il y avait une Arménienne qui avait épousé le Turc qui
l'avait enlevée de force. Ce Turc apprit que sa femme voulait se sauver avec
les Arméniens, il vient la nuit, prend son poignard et lui tranche la figure
d'une oreille à l'autre.
Les Turcs convertissaient les petits enfants, ils
disaient "Muhammet rassoul Allah" et les circoncisaient, c'est-à-dire que
les enfants étaient circoncis, qu'ils portaient un autre nom, et étaient
obligés de parler turc.
Mon grand-père paternel était révérend père.
Quand les Turcs sont entrés à Kharpert, ils l'ont tué sur le toit de sa
maison. Sa femme, Pampich Almast, était une femme virile, elle a commencé à
lutter avec les Turcs, mais ceux-ci ont réussi à l'emmener; avec son fils
Khorén, ils les ont turquifiés. Ils appelaient Khorén "khayroulla". Sa mère,
Pampich Almast avait caché ses 60 pièces d'or, elle les avait données à son
fils pour qu'il étudie et devienne médecin.
Les Turcs respectaient et aimaient beaucoup leur médecin
major khayroulla. Ils lui avaient même assigné un garde pour qu'il n'aide
pas soudain les Arméniens.
Un jour, les Turcs emmènent mon père jusque Palou, pour
sauver un malade. Mon père sort des médicaments de son sac, soigne le
malade. On lui donne une vache pour le remercier, mais ils lui disent: "Ne
la mène pas dans Palou, que les Arméniens ne te voient pas, car cette vache
a été volée aux Arméniens.
Un jour, à Kharpert, une belle jeune fille appelée
Sirvart réussit à se sauver de chez les Turcs, elle vient à l'église
arménienne. L'un des prêtres de l'église vient avec Sirvart voir mon père le
docteur Khorén, pour qu'il aide Sirvart à partir en Amérique, où le père de
la jeune fille s'était réfugié. Mais les Turcs l'ont appris, ils ont battu
le prêtre, ils ont enlevé la jeune fille. Elle revient voir mon père, elle
demande qu'il l'aide. Je ne sais pas comment a pu faire mon père, il a
envoyé cette jeune fille à Constantinople, et de là elle est partie en
Amérique.
Le "mutur" de Bolis l'apprend, il fait venir mon père et
lui dit: Docteur khayroulla, j'ai appris que tu convertissais les jeunes
arméniennes musulmanes au christianisme.
Mon père sent que sa situation est en danger.
Il avait déjà envoyé toutes les affaires de sa famille à
Alep, par des chemins secrets à travers les montagnes. Il est venu de Bolis
la nuit, s'est empressé de nous réunir, et nous nous sommes éloignés de
Kharpert. Je me rappelle avec quelle difficulté nous avons traversé la haute
montagne appelée "Tév-Pouyn" (cou de chameau), nous sommes arrivés dans une
ville fortifiée appelée Dikranakerd, où il y avait de très grosses
pastèques. Le fleuve Euphrate traversait la ville. Il était plein de boue et
de cadavres. Devant la porte de la ville, un gendarme montait la garde. On
nous a inspectés, nous sommes restés dans le khan. Le matin, nous sommes
arrivés à Mertin. Nous sommes restés dans la maison d'un prêtre catholique.
Puis nous sommes montés dans un train, et nous avons
passé la frontière turque. Nous avons poussé un soupir de soulagement,
d'avoir été délivrés des gendarmes turcs. Enfin nous sommes allés à Alep,
puis à Beyrouth, ensuite en Egypte, et en 1948 nous sommes venus en Arménie.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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