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WAN © 2007

TÉMOIGNAGES

Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.

Episode de la déportation

Récit de Khoren Margossian né en 1909 à Arouzga

Séparation d'avec ma mère.

De ma vie je n'oublierai ce jour, malgré toutes les souffrances endurées, j'étais avec elle, je ne voulais pas la quitter, je voulais mourir avec les miens.
Malgré la promesse de deux jours de repos, le lendemain matin, les officiers supérieurs turcs nous ont fait sortir du cimetière à coups de matraque. Là, première bonne surprise, les Turcs distribuaient du pain aux Arméniens. C'était leur première générosité depuis le départ de chez nous.

Chaque personne recevait un pain rond comme celui des campagnes. Ce fut notre tour; ma mère reçut le sien ainsi que ma sœur et mon petit frère. J'étais toujours sur les épaules de ma mère. Dans la distribution, on m'avait oublié. Ma mère l'a fait savoir au soldat turc, qui la gifla en lui disant "Voilà pour lui!"

Malgré mon âge et les douleurs de ma jambe, j'aurais voulu avoir la force de lui répondre, mais hélas, je ne pus. Jamais je n'oublierai cet affront supplémentaire.

Nous avons longé l'Euphrate; la route était jonchée de cadavres; quelques survivants étaient au milieu d'eux. Ma mère s'affaiblissait de jour en jour, marchait de plus en plus difficilement et de ce fait nous étions parmi les derniers.

Un gendarme nous obligeait à avancer. Chaque pas qu'elle faisait était un effort surhumain. Et pourtant, il fallait marcher !

Le gendarme qui nous observait, vit que maman ne pouvait plus me porter, alors il vint, m'arracha de ses épaules et me jeta sur le bord de la route au milieu des morts. Ma mère se précipita vers moi, mais le gendarme la frappa, lui donna des coups de pied et la força à avancer. Ce jour-là ma pauvre maman a été battue à cause de moi, et je ne pouvais rien faire… C'est ainsi que je fus séparé de Maman, de mon petit frère et de ma sœur.

Ils sont partis au milieu de la caravane, inutile d'appeler "Maman ! Maman!" elle ne pourra jamais revenir me prendre. J'étais seul abandonné au milieu des morts avec une jambe brisée. J'ai pleuré sans arrêt pendant des heures…

(Extrait "d'Odyssée d'un enfant arménien"de Khoren Margossian – La Pensée Universelle)


(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

 Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.

Récit de Sara Berbérian

Née en 1905 à Eski-Shéhir

Nous étions une très grande famille. Nous habitions à Eski-Shéhir. A table, nous étions 40 personnes. Maintenant, je suis restée seule. Les malheurs qui nous sont arrivés ne se trouvent même pas dans les contes. On nous a délogés de nos maisons et de nos terres. Ils ont d'abord emmené nos pères à part. Et nous, ils nous ont déportés, à pied. En route nous avions faim et soif, ça n'en finissait pas. Si nous restions un peu en arrière, les zaptiés turcs nous frappaient. Des deux côtés de la route, des morts étaient tombés, nous passions en marchant sur les cadavres, c'était un péché, mais que pouvions-nous faire ? Il n'y avait pas de place pour poser nos pieds, partout le sol était couvert des cadavres de ceux qui étaient passés avant nous. Nos forces ne nous permettaient ni d'avancer, ni de reculer, on nous frappait. Nous avancions un peu, ils nous cognaient encore. C'est ainsi qu'ils nous ont menés à destination.

En route ils nous avaient complètement dévalisés et déshabillés, nous sommes restés tout nus. Ma mère s'est attaché un linge devant elle, pour au moins cacher sa honte. Si on demandait un peu d'eau, ils nous disaient: donne-nous une pièce d'or et nous t'en donnerons. Désespérés, nous avons bu de l'eau boueuse, même de l'urine, nous avons bu tout ce que nous avons trouvé. Comment se fait-il que nous ne soyons pas morts ? Ils tuaient les enfants sous les yeux de leur mère, ils tuaient les mères devant les yeux de leurs enfants. Je m'en souviens comme d'un rêve, mais je m'en souviens bien.

Puis nous sommes passés à Izmir. Ma mère était une femme convenable, finalement elle a trouvé à travailler chez un médecin, elle balayait la salle, elle faisait le ménage, elle faisait les pansements, et elle nous gardait.

Puis nous avons appris que le frère de maman était venu. Ma mère, toute heureuse est partie. Mais c'était son cadavre qu'on avait amené. Ma pauvre maman a encore pris le deuil. Nous étions petits, affamés, assoiffés, pouilleux. Ma mère s'est mise à travailler dans la construction, elle transportait de la terre, elle la portait dans un petit panier, elle nous faisait vivre avec l'argent qu'elle gagnait. Ensuite, nous avons reçu la nouvelle que notre père était arrivé dans notre ville avec les prisonniers. Nous allions à la porte de la prison. Il y avait une petite ouverture, nous lui tendions un petit morceau de pain, il y avait mille mains qui se tendaient, tellement ils avaient faim.

Enfin quand les Grecs sont arrivés, mon père est sorti de prison, il nous a trouvés.

Puis, de Grèce nous sommes arrivés en Arménie. Ici aussi nous avons eu beaucoup de misères, la guerre, la famine, je ne sais pas laquelle dire, laquelle raconter…

 

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

 Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.

 

 Récit de Parouhi Tchorékian

Née en 1900 à Nicomédia

En 1915, quand on nous a déportés, nous sommes restés 12 mois dans le désert.

Nous étions quatre sœurs, nous nous sommes sauvées. Arrivées au fleuve Khapour, nous l'avons traversé à la nage, et nous avons trouvé refuge chez les Bédouins. Ils nous ont tondu les cheveux car nous avions plein de poux, ils nous ont tatoué la figure avec de l'encre bleue pour que nous ne soyons pas repérées en tant qu' Arméniennes. Ils nous ont donné leurs moutons à garder.

Près de Cham (Damas, ndt) il y avait un camp militaire, d'où l'ordre a été donné: "Que ceux qui ont chez eux des Arménien(ne)s viennent nous les livrer.

Notre Arabe était gentil, il ne nous a pas données. Mais plus tard nous nous sommes sauvées pour entrer à l'orphelinat arménien.
De là, nous sommes passées en Grèce. Et de Grèce nous sommes venues en Arménie.

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

     Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Récit de Kévork Der Sahaguian

Né en 1909 à Tiordiol

Le 14 avril 1915, Krikor Zohrab était en train de jouer au tavlou chez Talaat Pacha. En quelques jours, les intellectuels arméniens furent arrêtés. Zohrab ne le croyait pas. Il est allé protester chez Talaat. Celui-ci lui répond froidement: "vos protestations sont vaines".

Mon père avait rencontré Krikor Zohrab à Alep, à l'Hôtel Baron (qui appartenait aux Arméniens). Il avait dit: "Je viens de "Tassabkhané", là-bas ils n'ont pas laissé un seul Arménien vivant. Viens que je te sauve". Mais Zohrab a refusé et a répondu. "Si moi je me sauve, ils tueront tous les Arméniens".

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Récit de Kégham Khatchadrian

Né en 1909 à Afyon-Karahissar

En 1915 on a été déportés, on a été à pieds d'Afion-Karahissar à Konya.

Puis nous somme allés à Izmir.

Je me rappelle le désastre d'Izmir en 1922. Ils jetaient de l'eau bouillante sur les Arméniens, pour qu'ils meurent. Ceux qui avaient beaucoup d'argent disaient aux "ghaïerghtchis" : (bateliers) "Prends cet or, emmène-moi auprès des bateaux français ou anglais". Les Turcs prenaient l'argent avec de fausses promesses, ils les faisaient monter dans un bateau, ils les conduisaient un peu plus loin, ensuite ils renversaient le bateau pour que les Arméniens se noient et n'atteignent pas les cuirassiers venus les délivrer.

 

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Récit n° 195 de Arsène Svazian

Né en 1901 à Guéssaria

On a emmené mon père comme soldat.

Nous, en tant que famille et enfants de soldat, on nous a exilés dans des villages. On nous a enfermés dans une moquée, soi-disant qu'on allait nous emmener à l'école, mais ils ont tué tous les adultes, et nous, nous avons été circoncis et turquifiés. Or, mon père, je ne sais comment, s'est échappé de l'armée, il nous a trouvés, il nous a sauvés et nous a emmenés. Mais sur la route de Sivas, ils l'ont tué. De notre famille, 12 personnes ont été pendues.

Je ne sais pas quel âge avait mon frère, ma sœur avait deux ans, c'est moi qui l'ai élevée.

Ensuite des Arméniens sont venus, ils nous ont emmenés. Ils étaient de Chabin-Karahissar. Nous avions peur de quiconque s'approchait de nous. Effrayés, nous criions :"Nous sommes Turcs !"

Ces jeunes gens de Chabin-Karahissar nous ont démasqués. Ils ont dit: "Ils sont arméniens". Ils nous ont emmenés à l'orphelinat de Guessaria. Ensuite à Izmir.

Nous étions en tout 400 personnes. Il y avait quatre riches Arméniens qui s'étaient chargés de nous. Un jour, le général Antranig est venu nous voir. Il nous a interrogés. Il a vu qu'on faisait à manger pour 400 personnes, il a pris une cuillère en bois, il a dit: "attends, je vais y goûter". Il a vu que c'était meilleur qu'à la maison, il était content. Il s'est tourné vers nous et a dit: "mes enfants, mangez bien, conduisez-vous bien, grandissez, délivrez l'Arménie !"

En 1922, lors du désastre d'Izmir, ils ont tué mon oncle. Ils ont jeté tout le monde à la mer.

Nous, nous étions au Collège américain. On nous a tous conduits à l'Ile de Corfou. Là-bas j'ai appris le métier de cordonnier. Et puis, la cuisinière de l'orphelinat, la "Mayrig" m'a adopté, elle m'a emmené chez elle. J'ai épousé sa petite-fille Méliné. Enfin, nous nous sommes installés en Grèce, mais là aussi ça a mal tourné et nous sommes venus en Arménie.

 

ԱՐՍԵՆ ՍՎԱՋՅԱՆԻ ՊԱՏՄԱԾԸ

(ԾՆՎ. 1901 Թ., ԿԵՍԱՐԻԱ)


Պապայիս զինվոր տարին։ Մենք օլուխ—չոջուխ զինվորական ընտանիք ենք ըսելով, մեզ գյուղերը աքսորեցին։ Ջամիի մը մեջ կոխեցին, իբր դպրոց պիտի տանեն մեզի, բայց բոլորին ալ սպանեցին, մեզի ալ սյունեթ ըրին՝ թուրքացուցին։ Ոնց եղավ, հայրս զինվորութենեն փախավ, եկավ մեզի գտավ, փախցուց տարավ, բայց իրեն Սվազի ճամփուն վրա սպանեցին. մեր ընտանիքեն տասներկու հոգու կախաղան հանեցին։ Եղբայրս քանի տարեկան էր, չգիտեմ, քույրս երկու տարեկան էր, ես մեծցուցի։ Հետո հայեր եկան մեզի տարին, անոնք շապինգարահիսարցի էին. ով որ մեզ կմոտենար, մենք կվախնայինք, վախերնես «Մենք թու՜րք ենք» կպոռայինք։

Ադ շապինգարահիսարցի տղաները մեզ մեջտեղ հանեցին, — Հա՜յ են, — ըսին։ Մեզ Կեսարիո որբանոցը տարին, հետո ալ՝ Իզմիր. բոլորս չորս հարյուր հոգի էինք։ Չորս հայ հարուստներ մեզ կպահեին։ Օր մը Անդրանիկ զորավարը եկավ մեզի տեսնելու։ Հարց ու փորձ ըրավ, տեսավ չորս հարյուր որբի համար ճաշ կեփվի, փայտե գդալ մը առավ՝ «Կեցի՛ր, մեյ մը համը տեսնամ» ըսավ։ Տեսավ, քի տունին ճաշեն ավելի համով է, ուրախացավ։ Դարձավ մեզի ըսավ. «Տղե՜ք, լավ կերե՛ք, շիտակ կեցե՛ք, մեծցե՛ք, Հայաստանը փրկեցե՛ք»։

1922-ին, Իզմիրի աղետին, քեռիիս սպանեցին։ Ամենուն ծովը թափեցին։ Մենք ալ ամերիկյան կոլեջն էինք։ Ամենքիս ալ Կորֆու կղզին տարին։ Հոն կոշկակարություն սորվեցա։ Հետո մեր որբանոցի խոհարար «Մայրիկը» որդեգրեց ինձ, իր տունը տարավ, անոր թոռնիկին՝ Մելինեին հետ ալ ամուսնացա։ Հետո Հունաստանում տուն—տեղ եղանք, ան ալ քանդեցինք, եկանք Հայաստան։

 

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

 

 

Récit d'Elizabeth Kavkavian

Née en 1900 à Eski-Shéhir

De Tchaïghalan on nous a déportés vers Ras-ul-Aïn. Ma mère transportait de l'eau pour les Turcs. En échange, ils lui donnaient un morceau de pain, et elle me l'apportait et me le donnait à manger, pour que je ne meure pas de faim. Ma mère m'avait habillée de frusques de garçon, puisqu'ils enlevaient les filles. Moi je me levais en cachette, je ramassais les mégots de cigarettes pour mon oncle. La majorité des Arméniens ont été enfermés dans des silos, ils ont été recouverts de chaux, incendiés et brûlés.

Les Turcs avaient des massues en bois épineux avec lesquelles ils tapaient sur la tête et tuaient les déportés. Notre Marguerite, s'était trouvée parmi les cadavres, elle s'était levée, elle avait vu qu'il n'y avait plus personne, elle s'était sauvée et elle nous a retrouvées.

Des Arméniennes s'étaient cachées dans des buissons. Le bébé de l'une d'entre elles s'est mis à pleurer. La mère a dit: " cet enfant va être cause de notre mort à toutes ". Elle l'a serré contre elle pour qu'il arrête de pleurer, il est mort comme ça. Beaucoup se sont jetées dans l'Euphrate. Je me rappelle, cette eau était très profonde. Elles se sont noyées et sont mortes dans l'Euphrate. La sœur de ma mère, ma grand'mère, ses belles-sœurs, se sont jetées à l'eau pour ne pas tomber aux mains des Turcs. Les Turcs nous ont beaucoup fait souffrir. Ils mettaient des plaques de fer sur le feu, jusqu'à ce qu'elles rougissent, et nous obligeaient à marcher dessus, nos talons brûlaient, et la plante des pieds. Ou alors ils clouaient un fer à cheval sous les pieds ; ils torturaient à mort. Nous étions très pitoyables. La plante de mes pieds était couverte de plaies. Nous n'avions rien à manger. J'ai pensé à vendre mes chaussures pour acheter du pain. Un garçon turc m'a acheté mes chaussures. Cette nuit-là, ma petite sœur de trois ans, qui était restée si longtemps sans manger, a mangé du pain, elle a enflé, elle est morte. Nous l'avons enterrée sous un arbre. Mais la nuit, des chacals affamés étaient venus, ils avaient déterré notre charmante Haïgouche, et l'avaient dévorée.

Nous sommes allées jusque Ras-ul-Aïn, après Alep. Ils voulaient nous expédier, (sevkiet) c'est-à-dire nous massacrer, mais un ordre est arrivé: "Ceux qui ont un membre de leur famille dans l'armée turque, vont être délivrés, et épargnés". C'est ainsi que nous sommes restés en vie.

 

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Récit n° 199 d'Assadour fils de Hovsép Ménétchian

Né en 1907 à Afyon Karahissar

En 1914, mon père a été incorporé dans l'armée turque. Il n'est jamais revenu. Nous habitions dans un quartier turc. Ma mère, autrefois avait allaité l'enfant de notre voisine turque d'en face. Quand les massacres de 1915 allaient commencer, cette voisine est venue et a dit à maman: "Laissez votre porte ouverte et venez chez nous".

Maman nous a rassemblés et nous sommes partis dans la maison de la voisine turque.

La nuit, à deux heures du matin, les Turcs sont venus. Ils ont frappé à la porte. Notre voisine turque s'est levée et a dit: "Ici il y a un haut fonctionnaire turc qui habite".

Ils l'ont crue et sont partis.

Dans notre rue, il y avait une famille d'épiciers arméniens. Les Turcs ont tué le père, la mère et leur fils. Et ils ont violé leur fille. Mais notre gentille voisine turque a eu pitié de cette fille, elle l'a fait entrer, elle l'a gardée avec nous.

C'est pour dire que parmi les Turcs il y a aussi de braves gens.

 

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Récit de Loussig Bodourian 

Née en 1909 à Adabazar

Moi j'étais très petite mais je m'en souviens comme dans un brouillard. Nous vivions à Adabazar quand ils sont venus nous déporter. Ils nous ont emmenés à pied jusque Konya, puis à Karapounar, et de là à Eski-Shéhir. En route, ils ont massacré tous les Arméniens; et mon oncle Harout, qui s'était sauvé de l'armée turque, ils l'ont mis, devant nos yeux, sur des branches de sapin, et ils y ont mis le feu. La graisse de son corps s'écoulait comme de la résine.

Ma mère a composé un chant pour son frère.

Elle chantait tout en pleurant:

"Tchamdan sakiz akiyor,

Harout bana bakiyor.

Bakma Harout, kardashim,

Djiyérimi yakeyor

"Du sapin la résine s'égoutte;

Harout me regarde.

Ne me regarde pas Harout mon frère

Mon âme brûle."

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Récit de Annig Mariguian

Née en 1892 à TOKAT

Jusqu'en 1915, nous vivions à Tokat.

Nous avions des maisons, des terrains, des vignobles, des arbres fruitiers, des forêts.

Mais les Turcs sont venus, ils nous ont délogés.

Ils ont d'abord rassemblé les hommes, ils les ont emmenés et les ont tués. Tout ce que nous avions, ils sont venus, ils s'en sont emparé. Moi, avec trois jeunes enfants, j'ai été tiraillée jusque dans les déserts de Der-Zor. Affamés, assoiffés, sous le soleil brûlant. Chaque jour des centaines de malades mouraient Et nous, ils nous emmenaient par groupes dans les collines et nous tuaient à coups de balta (hache, en turc). Ils ont aussi emmené ma sœur avec ses deux enfants, ils les ont tués et les ont jetés dans une fosse. Mais ma sœur était seulement blessée, sous les corps de ses enfants et des autres cadavres; elle a rampé, rampé, elle est venue nous retrouver. Nous ne savions pas si nous devions nous réjouir de son retour ou pleurer la perte de ses deux enfants.

Nous avons vécu pendant trois ans avec ma sœur et mes enfants dans une grotte de Der-Zor, pour qu'au moins ils ne prennent pas mes trois enfants.

Dieu merci, j'avais emporté avec moi des aiguilles et du fil, je faisais de la couture pour les femmes des zaptiyés turcs, je cousais des habits, pour survivre. Et puis, et puis j'ai donné des articles que j'avais faits à un Arabe, il nous a emmenés dans son chariot. Jusque Constantinople.

De Bolis, dans des vaisseaux anglais, nous sommes allés en Egypte.

En 1947, nous sommes venus en Arménie.

Mais en 1949, ils nous ont exilés à Altaïsk.

(Selon les directives staliniennes, ils envoyaient les citoyens indésirables travailler dans ces régions glaciales).

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

 

Le récit de Tovmas Haptchian

né en 1903 A Moussa Lér, Hoghoun-Olouk

J'avais 12 ans à l'époque de la lutte du Moussa Lér; je le rappelle que la foule grimpait en masse sur la montagne. Il y a eu des réunions au village, on disait que nous allions émigrer; il y avait du tumulte dans ces réunions: pourquoi émigrer ? Allons plutôt sur la montagne ! "Allons sur la montagne!" ont-ils dit.

Nous avons laissé nos maisons, nos terres et tout, et nous sommes montés.

Les villages de Hatchi Hapipli – Pitias, étaient perplexes, car le Révérend Père Nokhoutian était contre. Il a persuadé le peuple d'émigrer. Le village de Kapoutié a entièrement quitté les lieux. Seules 17 familles ont escaladé la montagne. En tout, il y eut environ 6000 personnes qui sont montées là-haut.

Sur la montagne, chaque famille s'est fait une chaumière en bois, puisqu'il n'y avait ni tuiles ni pierre. Les jeunes gens ont fabriqué des barricades. Ils ont fait deux assemblées, l'une pour l'administration et la vie civile, l'autre pour l'organisation des forces militaires. Ces organismes étaient formés. Le combat a commencé. La première riposte fut lancée par Sarkis Kapaghian. La lutte continua. L'ennemi vit qu'il y avait une forte opposition. Il recula.

Franz Werfel a présenté avec art le plan turc, et la lutte défensive du peuple arménien, un peuple qui était monté là-haut en connaissance de cause, et qui savait sciemment que la mort l'attendait. Le peuple, avec ses armes, s'abritait.

Il y eut trois principaux fronts. Notre peuple a toujours été victorieux. Ils savaient que nos provisions n'étaient pas considérables, que l'hiver approchait, mais nous avions l'espoir de vaincre, ou qu'un navire européen allié viendrait de la mer. Notre situation avait déjà été signalée.

Il y avait au sommet la Croix Rouge Chrétienne.

Le moment crucial était arrivé. Le premier navire européen qui nous a remarqué était le "Guiché" qui scrutait les rives. Avec leurs longues-vues, ils ont remarqué les étoffes, les gens. Ils sont venus, ils ont envoyé un bateau. Il y en avait parmi nous qui savaient le français, et l'anglais.

L'amiral a donné l'ordre: "qu'ils attendent une semaine !".

La montagne était couverte de brouillard. A dix pas, on ne se voyait pas. Soudain, le brouillard s'est levé, le navire est apparu. On a pris nos draps, on a fait des drapeaux, on les a agités joyeusement en l'air. Les Turcs ont fait un dernier effort pour se précipiter vers nous.

Mais les nôtres les ont repoussés, ils se sont battus héroïquement.

Une semaine plus tard, l'amirauté a encore envoyé quatre autres bateaux. Enfin l'amiral ""Tardif de Fournay " est venu lui-même dans le vaisseau "JEANNE D'ARC", il a vu que la situation était très pénible, il fallait de l'aide.

Il a pris sous sa responsabilité personnelle de faire monter à bord toute la communauté, il a laissé seulement la troupe de combat de protection, pour empêcher l'ennemi d'envahir les lieux.

Ils sont allés d'abord à Chypre, se sont présentés aux Anglais. Ceux-ci ont dit: "nous n'avons pas de place". Il y avait une nécessité de désinfection à Port-Saïd. On nous a conduit dans ce centre de désinfection. Les navires nous faisaient parvenir de la nourriture. Nous, habitants de Moussa Lér, sommes restés trois ans et demi à cet endroit. D'après les accords des alliés, le gouvernement d'Egypte nous a protégés.

Nous avions demandé au gouvernement français de nous aider, puisque notre lutte contre les Turcs n'était pas terminée. Nos jeunes gens s'entraînaient sous le drapeau français. Puis des volontaires ont été envoyés pour organiser une formation spéciale. Le Conseil National était d'accord. L'armée d'Orient arménienne a été créée avec des jeunes de 18 à 25 ans, sans exception. Ils ont été inscrits et envoyés à Chypre, qui était le centre militaire général..

Les Arméniens ont vaincu, sous les ordres du Général Allenby, l'armée turco-allemande, ils les ont poursuivis jusque la Cilicie. Et le projet de rendre la Cilicie un foyer arménien fut envisagé.

 

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

      Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.                       

Récit de Srpouhi Guiguichian

Née en 1909 à Arapkir

Quand on nous a emmenés à Der-Zor, moi j'étais petite, mais je m'en souviens, il n'y avait pas de pain, ni rien à manger, il n'y avait pas d'eau à boire, il n'y avait que des pierres et du désert. Nous avons marché, et marché. Nous sommes arrivés péniblement dans un village. Des Arabes nous ont apporté de l'eau, ils nous l'ont versée goutte à goutte dans la bouche. Et aussi du raisin, grain par grain. Ensuite les Arabes nous ont distribués entre eux. Ils ont donné ma mère à un homme invalide. Ma mère était blessée au bras, le pus s'écoulait comme de l'eau, mais nuit et jour elle travaillait pour cet homme, puisqu'elle était nourrie. Un jour, le voisin de cet homme est venu et a dit: "ta servante est blessée au bras". L'homme a eu pitié, il a apporté dans un récipient une bande de coton enduite d'un onguent. Au bout de quelques jours la plaie fut guérie.

Ensuite ce voisin a dit à maman: "il y a dans notre entourage une Arménienne, tu veux faire sa connaissance ?"

Maman l'a rencontrée, et a vu que c'était la sœur de mon père. La nuit, elles m'ont prise avec elles et nous nous sommes sauvées. Nous sommes allées à Ourfa.

Là, ma mère et ma tante ont travaillé dans une usine. Puis nous sommes allées à Malatya, nous sommes descendues dans le quartier arménien. Nous avons rencontré une femme d'Arapkir, de notre quartier. Elle a dit: "Ah Bon Dieu ! ton fils est ici, il a un signe sur la figure."

  • Et les autres ? a dit maman

  • Les autres sont morts , a dit la femme.

Ma mère a porté cet enfant sur son dos. Nous sommes venues, mais lui aussi est tombé malade, il est mort en route. Nous étions six enfants, il n'est resté que moi

Ma mère chantait toujours en pleurant…

(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)

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