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Récit
recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Episode de la déportation
Récit de Khoren Margossian né en 1909 à Arouzga
Séparation d'avec ma mère.
De ma vie je n'oublierai ce jour, malgré
toutes les souffrances endurées, j'étais avec elle, je ne
voulais pas la quitter, je voulais mourir avec les miens.
Malgré la promesse de deux jours de repos, le lendemain matin,
les officiers supérieurs turcs nous ont fait sortir du cimetière
à coups de matraque. Là, première bonne surprise, les Turcs
distribuaient du pain aux Arméniens. C'était leur première
générosité depuis le départ de chez nous.
Chaque personne recevait un pain rond comme
celui des campagnes. Ce fut notre tour; ma mère reçut le sien
ainsi que ma sœur et mon petit frère. J'étais toujours sur les
épaules de ma mère. Dans la distribution, on m'avait oublié. Ma
mère l'a fait savoir au soldat turc, qui la gifla en lui disant
"Voilà pour lui!"
Malgré mon âge et les douleurs de ma jambe,
j'aurais voulu avoir la force de lui répondre, mais hélas, je ne
pus. Jamais je n'oublierai cet affront supplémentaire.
Nous avons longé l'Euphrate; la route était
jonchée de cadavres; quelques survivants étaient au milieu
d'eux. Ma mère s'affaiblissait de jour en jour, marchait de plus
en plus difficilement et de ce fait nous étions parmi les
derniers.
Un gendarme nous obligeait à avancer. Chaque
pas qu'elle faisait était un effort surhumain. Et pourtant, il
fallait marcher !
Le gendarme qui nous observait, vit que maman
ne pouvait plus me porter, alors il vint, m'arracha de ses
épaules et me jeta sur le bord de la route au milieu des morts.
Ma mère se précipita vers moi, mais le gendarme la frappa, lui
donna des coups de pied et la força à avancer. Ce jour-là ma
pauvre maman a été battue à cause de moi, et je ne pouvais rien
faire… C'est ainsi que je fus séparé de Maman, de mon petit
frère et de ma sœur.
Ils sont partis au milieu de la caravane,
inutile d'appeler "Maman ! Maman!" elle ne pourra jamais revenir
me prendre. J'étais seul abandonné au milieu des morts avec une
jambe brisée. J'ai pleuré sans arrêt pendant des heures…
(Extrait "d'Odyssée d'un enfant arménien"de
Khoren Margossian – La Pensée Universelle)
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de
Sara Berbérian
Née en 1905 à
Eski-Shéhir
Nous étions une très
grande famille. Nous habitions à
Eski-Shéhir. A table, nous étions 40
personnes. Maintenant, je suis restée
seule. Les malheurs qui nous sont
arrivés ne se trouvent même pas dans les
contes. On nous a délogés de nos maisons
et de nos terres. Ils ont d'abord emmené
nos pères à part. Et nous, ils nous ont
déportés, à pied. En route nous avions
faim et soif, ça n'en finissait pas. Si
nous restions un peu en arrière, les
zaptiés turcs nous frappaient. Des deux
côtés de la route, des morts étaient
tombés, nous passions en marchant sur
les cadavres, c'était un péché, mais que
pouvions-nous faire ? Il n'y avait pas
de place pour poser nos pieds, partout
le sol était couvert des cadavres de
ceux qui étaient passés avant nous. Nos
forces ne nous permettaient ni
d'avancer, ni de reculer, on nous
frappait. Nous avancions un peu, ils
nous cognaient encore. C'est ainsi
qu'ils nous ont menés à destination.
En route ils nous
avaient complètement dévalisés et
déshabillés, nous sommes restés tout
nus. Ma mère s'est attaché un linge
devant elle, pour au moins cacher sa
honte. Si on demandait un peu d'eau, ils
nous disaient: donne-nous une pièce d'or
et nous t'en donnerons. Désespérés, nous
avons bu de l'eau boueuse, même de
l'urine, nous avons bu tout ce que nous
avons trouvé. Comment se fait-il que
nous ne soyons pas morts ? Ils tuaient
les enfants sous les yeux de leur mère,
ils tuaient les mères devant les yeux de
leurs enfants. Je m'en souviens comme
d'un rêve, mais je m'en souviens bien.
Puis nous sommes
passés à Izmir. Ma mère était une femme
convenable, finalement elle a trouvé à
travailler chez un médecin, elle
balayait la salle, elle faisait le
ménage, elle faisait les pansements, et
elle nous gardait.
Puis nous avons
appris que le frère de maman était venu.
Ma mère, toute heureuse est partie. Mais
c'était son cadavre qu'on avait amené.
Ma pauvre maman a encore pris le deuil.
Nous étions petits, affamés, assoiffés,
pouilleux. Ma mère s'est mise à
travailler dans la construction, elle
transportait de la terre, elle la
portait dans un petit panier, elle nous
faisait vivre avec l'argent qu'elle
gagnait. Ensuite, nous avons reçu la
nouvelle que notre père était arrivé
dans notre ville avec les prisonniers.
Nous allions à la porte de la prison. Il
y avait une petite ouverture, nous lui
tendions un petit morceau de pain, il y
avait mille mains qui se tendaient,
tellement ils avaient faim.
Enfin quand les Grecs
sont arrivés, mon père est sorti de
prison, il nous a trouvés.
Puis, de Grèce nous
sommes arrivés en Arménie. Ici aussi
nous avons eu beaucoup de misères, la
guerre, la famine, je ne sais pas
laquelle dire, laquelle raconter…
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de
Parouhi Tchorékian
Née en 1900 à
Nicomédia
En 1915,
quand on nous a déportés, nous
sommes restés 12 mois dans le
désert.
Nous étions
quatre sœurs, nous nous sommes
sauvées. Arrivées au fleuve
Khapour, nous l'avons traversé à
la nage, et nous avons trouvé
refuge chez les Bédouins. Ils
nous ont tondu les cheveux car
nous avions plein de poux, ils
nous ont tatoué la figure avec
de l'encre bleue pour que nous
ne soyons pas repérées en tant
qu' Arméniennes. Ils nous ont
donné leurs moutons à garder.
Près de Cham
(Damas, ndt) il y avait un camp
militaire, d'où l'ordre a été
donné: "Que ceux qui ont chez
eux des Arménien(ne)s viennent
nous les livrer.
Notre Arabe
était gentil, il ne nous a pas
données. Mais plus tard nous
nous sommes sauvées pour entrer
à l'orphelinat arménien.
De là, nous sommes passées en
Grèce. Et de Grèce nous sommes
venues en Arménie.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Kévork Der
Sahaguian
Né en 1909 à Tiordiol
Le 14 avril 1915, Krikor Zohrab
était en train de jouer au tavlou chez Talaat Pacha. En
quelques jours, les intellectuels arméniens furent arrêtés.
Zohrab ne le croyait pas. Il est allé protester chez Talaat.
Celui-ci lui répond froidement: "vos protestations sont
vaines".
Mon père avait rencontré Krikor Zohrab à
Alep, à l'Hôtel Baron (qui appartenait aux Arméniens).
Il avait dit: "Je viens de "Tassabkhané", là-bas ils n'ont
pas laissé un seul Arménien vivant. Viens que je te sauve".
Mais Zohrab a refusé et a répondu. "Si moi je me sauve, ils
tueront tous les Arméniens".
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Kégham
Khatchadrian
Né en 1909 à Afyon-Karahissar
En 1915 on a été déportés, on a été à
pieds d'Afion-Karahissar à Konya.
Puis nous somme allés à Izmir.
Je me rappelle le désastre d'Izmir en
1922. Ils jetaient de l'eau bouillante sur les
Arméniens, pour qu'ils meurent. Ceux qui avaient
beaucoup d'argent disaient aux "ghaïerghtchis" :
(bateliers) "Prends cet or, emmène-moi auprès des
bateaux français ou anglais". Les Turcs prenaient
l'argent avec de fausses promesses, ils les faisaient
monter dans un bateau, ils les conduisaient un peu plus
loin, ensuite ils renversaient le bateau pour que les
Arméniens se noient et n'atteignent pas les cuirassiers
venus les délivrer.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit n° 195 de Arsène Svazian
Né en 1901 à Guéssaria
On a emmené mon père comme soldat.
Nous, en tant que famille et enfants
de soldat, on nous a exilés dans des villages. On nous a
enfermés dans une moquée, soi-disant qu'on allait nous
emmener à l'école, mais ils ont tué tous les adultes, et
nous, nous avons été circoncis et turquifiés. Or, mon
père, je ne sais comment, s'est échappé de l'armée, il
nous a trouvés, il nous a sauvés et nous a emmenés. Mais
sur la route de Sivas, ils l'ont tué. De notre famille,
12 personnes ont été pendues.
Je ne sais pas quel âge avait mon
frère, ma sœur avait deux ans, c'est moi qui l'ai
élevée.
Ensuite des Arméniens sont venus, ils
nous ont emmenés. Ils étaient de Chabin-Karahissar. Nous
avions peur de quiconque s'approchait de nous. Effrayés,
nous criions :"Nous sommes Turcs !"
Ces jeunes gens de Chabin-Karahissar
nous ont démasqués. Ils ont dit: "Ils sont arméniens".
Ils nous ont emmenés à l'orphelinat de Guessaria.
Ensuite à Izmir.
Nous étions en tout 400 personnes. Il
y avait quatre riches Arméniens qui s'étaient chargés de
nous. Un jour, le général Antranig est venu nous voir.
Il nous a interrogés. Il a vu qu'on faisait à manger
pour 400 personnes, il a pris une cuillère en bois, il a
dit: "attends, je vais y goûter". Il a vu que c'était
meilleur qu'à la maison, il était content. Il s'est
tourné vers nous et a dit: "mes enfants, mangez bien,
conduisez-vous bien, grandissez, délivrez l'Arménie !"
En 1922, lors du désastre d'Izmir,
ils ont tué mon oncle. Ils ont jeté tout le monde à la
mer.
Nous, nous étions au Collège
américain. On nous a tous conduits à l'Ile de Corfou.
Là-bas j'ai appris le métier de cordonnier. Et puis, la
cuisinière de l'orphelinat, la "Mayrig" m'a adopté, elle
m'a emmené chez elle. J'ai épousé sa petite-fille Méliné.
Enfin, nous nous sommes installés en Grèce, mais là
aussi ça a mal tourné et nous sommes venus en Arménie.
ԱՐՍԵՆ ՍՎԱՋՅԱՆԻ ՊԱՏՄԱԾԸ
(ԾՆՎ. 1901 Թ., ԿԵՍԱՐԻԱ)
Պապայիս զինվոր տարին։ Մենք օլուխ—չոջուխ զինվորական ընտանիք
ենք ըսելով, մեզ գյուղերը աքսորեցին։ Ջամիի մը մեջ կոխեցին,
իբր դպրոց պիտի տանեն մեզի, բայց բոլորին ալ սպանեցին, մեզի ալ
սյունեթ ըրին՝ թուրքացուցին։ Ոնց եղավ, հայրս զինվորութենեն
փախավ, եկավ մեզի գտավ, փախցուց տարավ, բայց իրեն Սվազի
ճամփուն վրա սպանեցին. մեր ընտանիքեն տասներկու հոգու կախաղան
հանեցին։ Եղբայրս քանի տարեկան էր, չգիտեմ, քույրս երկու
տարեկան էր, ես մեծցուցի։ Հետո հայեր եկան մեզի տարին, անոնք
շապինգարահիսարցի էին. ով որ մեզ կմոտենար, մենք կվախնայինք,
վախերնես «Մենք թու՜րք ենք» կպոռայինք։
Ադ շապինգարահիսարցի տղաները մեզ մեջտեղ հանեցին, — Հա՜յ են, —
ըսին։ Մեզ Կեսարիո որբանոցը տարին, հետո ալ՝ Իզմիր. բոլորս
չորս հարյուր հոգի էինք։ Չորս հայ հարուստներ մեզ կպահեին։ Օր
մը Անդրանիկ զորավարը եկավ մեզի տեսնելու։ Հարց ու փորձ ըրավ,
տեսավ չորս հարյուր որբի համար ճաշ կեփվի, փայտե գդալ մը առավ՝
«Կեցի՛ր, մեյ մը համը տեսնամ» ըսավ։ Տեսավ, քի տունին ճաշեն
ավելի համով է, ուրախացավ։ Դարձավ մեզի ըսավ. «Տղե՜ք, լավ
կերե՛ք, շիտակ կեցե՛ք, մեծցե՛ք, Հայաստանը փրկեցե՛ք»։
1922-ին, Իզմիրի աղետին, քեռիիս սպանեցին։ Ամենուն ծովը
թափեցին։ Մենք ալ ամերիկյան կոլեջն էինք։ Ամենքիս ալ Կորֆու
կղզին տարին։ Հոն կոշկակարություն սորվեցա։ Հետո մեր որբանոցի
խոհարար «Մայրիկը» որդեգրեց ինձ, իր տունը տարավ, անոր
թոռնիկին՝ Մելինեին հետ ալ ամուսնացա։ Հետո Հունաստանում տուն—տեղ
եղանք, ան ալ քանդեցինք, եկանք Հայաստան։
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit d'Elizabeth
Kavkavian
Née en 1900 à Eski-Shéhir
De Tchaïghalan on nous a déportés
vers Ras-ul-Aïn. Ma mère
transportait de l'eau pour les Turcs. En échange,
ils lui donnaient un morceau de pain, et elle me
l'apportait et me le donnait à manger, pour que je
ne meure pas de faim. Ma mère m'avait habillée de
frusques de garçon, puisqu'ils enlevaient les
filles. Moi je me levais en cachette, je ramassais
les mégots de cigarettes pour mon oncle. La majorité
des Arméniens ont été enfermés dans des silos, ils
ont été recouverts de chaux, incendiés et brûlés.
Les Turcs avaient des massues en
bois épineux avec lesquelles ils tapaient sur la
tête et tuaient les déportés. Notre Marguerite,
s'était trouvée parmi les cadavres, elle s'était
levée, elle avait vu qu'il n'y avait plus personne,
elle s'était sauvée et elle nous a retrouvées.
Des Arméniennes s'étaient cachées
dans des buissons. Le bébé de l'une d'entre elles
s'est mis à pleurer. La mère a dit: " cet enfant va
être cause de notre mort à toutes ". Elle l'a serré
contre elle pour qu'il arrête de pleurer, il est
mort comme ça. Beaucoup se sont jetées dans
l'Euphrate. Je me rappelle, cette eau était très
profonde. Elles se sont noyées et sont mortes dans
l'Euphrate. La sœur de ma mère, ma grand'mère, ses
belles-sœurs, se sont jetées à l'eau pour ne pas
tomber aux mains des Turcs. Les Turcs nous ont
beaucoup fait souffrir. Ils mettaient des plaques de
fer sur le feu, jusqu'à ce qu'elles rougissent, et
nous obligeaient à marcher dessus, nos talons
brûlaient, et la plante des pieds. Ou alors ils
clouaient un fer à cheval sous les pieds ; ils
torturaient à mort. Nous étions très pitoyables. La
plante de mes pieds était couverte de plaies. Nous
n'avions rien à manger. J'ai pensé à vendre mes
chaussures pour acheter du pain. Un garçon turc m'a
acheté mes chaussures. Cette nuit-là, ma petite sœur
de trois ans, qui était restée si longtemps sans
manger, a mangé du pain, elle a enflé, elle est
morte. Nous l'avons enterrée sous un arbre. Mais la
nuit, des chacals affamés étaient venus, ils avaient
déterré notre charmante Haïgouche, et l'avaient
dévorée.
Nous sommes allées jusque
Ras-ul-Aïn, après Alep. Ils voulaient nous expédier,
(sevkiet) c'est-à-dire nous massacrer, mais un ordre
est arrivé: "Ceux qui ont un membre de leur famille
dans l'armée turque, vont être délivrés, et
épargnés". C'est ainsi que nous sommes restés en
vie.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit n° 199 d'Assadour fils de
Hovsép Ménétchian
Né en 1907 à Afyon Karahissar
En 1914, mon père a été incorporé
dans l'armée turque. Il n'est jamais revenu. Nous
habitions dans un quartier turc. Ma mère, autrefois
avait allaité l'enfant de notre voisine turque d'en
face. Quand les massacres de 1915 allaient commencer,
cette voisine est venue et a dit à maman: "Laissez votre
porte ouverte et venez chez nous".
Maman nous a rassemblés et nous
sommes partis dans la maison de la voisine turque.
La nuit, à deux heures du matin, les
Turcs sont venus. Ils ont frappé à la porte. Notre
voisine turque s'est levée et a dit: "Ici il y a un haut
fonctionnaire turc qui habite".
Ils l'ont crue et sont partis.
Dans notre rue, il y avait une
famille d'épiciers arméniens. Les Turcs ont tué le père,
la mère et leur fils. Et ils ont violé leur fille. Mais
notre gentille voisine turque a eu pitié de cette fille,
elle l'a fait entrer, elle l'a gardée avec nous.
C'est pour dire que parmi les Turcs
il y a aussi de braves gens.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Loussig Bodourian
Née en 1909 à Adabazar
Moi j'étais très petite mais je m'en souviens comme dans
un brouillard. Nous vivions à Adabazar quand ils sont venus
nous déporter. Ils nous ont emmenés à pied jusque Konya,
puis à Karapounar, et de là à Eski-Shéhir. En route, ils ont
massacré tous les Arméniens; et mon oncle Harout, qui
s'était sauvé de l'armée turque, ils l'ont mis, devant nos
yeux, sur des branches de sapin, et ils y ont mis le feu. La
graisse de son corps s'écoulait comme de la résine.
Ma mère a composé un chant pour son frère.
Elle chantait tout en pleurant:
"Tchamdan sakiz akiyor,
Harout bana bakiyor.
Bakma Harout, kardashim,
Djiyérimi yakeyor
"Du sapin la résine s'égoutte;
Harout me regarde.
Ne me regarde pas Harout mon frère
Mon âme brûle."
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de
Annig Mariguian
Née en 1892 à
TOKAT
Jusqu'en 1915, nous
vivions à Tokat.
Nous avions des maisons,
des terrains, des vignobles, des arbres
fruitiers, des forêts.
Mais les Turcs sont
venus, ils nous ont délogés.
Ils ont d'abord rassemblé
les hommes, ils les ont emmenés et les ont
tués. Tout ce que nous avions, ils sont
venus, ils s'en sont emparé. Moi, avec trois
jeunes enfants, j'ai été tiraillée jusque
dans les déserts de Der-Zor. Affamés,
assoiffés, sous le soleil brûlant. Chaque
jour des centaines de malades mouraient Et
nous, ils nous emmenaient par groupes dans
les collines et nous tuaient à coups de
balta (hache, en turc). Ils ont aussi emmené
ma sœur avec ses deux enfants, ils les ont
tués et les ont jetés dans une fosse. Mais
ma sœur était seulement blessée, sous les
corps de ses enfants et des autres cadavres;
elle a rampé, rampé, elle est venue nous
retrouver. Nous ne savions pas si nous
devions nous réjouir de son retour ou
pleurer la perte de ses deux enfants.
Nous avons vécu pendant
trois ans avec ma sœur et mes enfants dans
une grotte de Der-Zor, pour qu'au moins ils
ne prennent pas mes trois enfants.
Dieu merci, j'avais
emporté avec moi des aiguilles et du fil, je
faisais de la couture pour les femmes des
zaptiyés turcs, je cousais des habits, pour
survivre. Et puis, et puis j'ai donné des
articles que j'avais faits à un Arabe, il
nous a emmenés dans son chariot. Jusque
Constantinople.
De Bolis, dans des
vaisseaux anglais, nous sommes allés en
Egypte.
En 1947, nous sommes
venus en Arménie.
Mais en 1949, ils nous
ont exilés à Altaïsk.
(Selon les directives
staliniennes, ils envoyaient les citoyens
indésirables travailler dans ces régions
glaciales).
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Le récit de Tovmas Haptchian
né en 1903 A Moussa Lér,
Hoghoun-Olouk
J'avais 12 ans à l'époque de la lutte
du Moussa Lér; je le rappelle que la foule grimpait en
masse sur la montagne. Il y a eu des réunions au
village, on disait que nous allions émigrer; il y avait
du tumulte dans ces réunions: pourquoi émigrer ? Allons
plutôt sur la montagne ! "Allons sur la montagne!"
ont-ils dit.
Nous avons laissé nos maisons, nos
terres et tout, et nous sommes montés.
Les villages de Hatchi Hapipli –
Pitias, étaient perplexes, car le Révérend Père
Nokhoutian était contre. Il a persuadé le peuple
d'émigrer. Le village de Kapoutié a entièrement quitté
les lieux. Seules 17 familles ont escaladé la montagne.
En tout, il y eut environ 6000 personnes qui sont
montées là-haut.
Sur la montagne, chaque famille s'est
fait une chaumière en bois, puisqu'il n'y avait ni
tuiles ni pierre. Les jeunes gens ont fabriqué des
barricades. Ils ont fait deux assemblées, l'une pour
l'administration et la vie civile, l'autre pour
l'organisation des forces militaires. Ces organismes
étaient formés. Le combat a commencé. La première
riposte fut lancée par Sarkis Kapaghian. La lutte
continua. L'ennemi vit qu'il y avait une forte
opposition. Il recula.
Franz Werfel a présenté avec art le
plan turc, et la lutte défensive du peuple arménien, un
peuple qui était monté là-haut en connaissance de cause,
et qui savait sciemment que la mort l'attendait. Le
peuple, avec ses armes, s'abritait.
Il y eut trois principaux fronts.
Notre peuple a toujours été victorieux. Ils savaient que
nos provisions n'étaient pas considérables, que l'hiver
approchait, mais nous avions l'espoir de vaincre, ou
qu'un navire européen allié viendrait de la mer. Notre
situation avait déjà été signalée.
Il y avait au sommet la Croix Rouge
Chrétienne.
Le moment crucial était arrivé. Le
premier navire européen qui nous a remarqué était le
"Guiché" qui scrutait les rives. Avec leurs
longues-vues, ils ont remarqué les étoffes, les gens.
Ils sont venus, ils ont envoyé un bateau. Il y en avait
parmi nous qui savaient le français, et l'anglais.
L'amiral a donné l'ordre: "qu'ils
attendent une semaine !".
La montagne était couverte de
brouillard. A dix pas, on ne se voyait pas. Soudain, le
brouillard s'est levé, le navire est apparu. On a pris
nos draps, on a fait des drapeaux, on les a agités
joyeusement en l'air. Les Turcs ont fait un dernier
effort pour se précipiter vers nous.
Mais les nôtres les ont repoussés,
ils se sont battus héroïquement.
Une semaine plus tard, l'amirauté a
encore envoyé quatre autres bateaux. Enfin l'amiral
""Tardif de Fournay " est venu lui-même dans le vaisseau
"JEANNE D'ARC", il a vu que la situation était très
pénible, il fallait de l'aide.
Il a pris sous sa responsabilité
personnelle de faire monter à bord toute la communauté,
il a laissé seulement la troupe de combat de protection,
pour empêcher l'ennemi d'envahir les lieux.
Ils sont allés d'abord à Chypre, se
sont présentés aux Anglais. Ceux-ci ont dit: "nous
n'avons pas de place". Il y avait une nécessité de
désinfection à Port-Saïd. On nous a conduit dans ce
centre de désinfection. Les navires nous faisaient
parvenir de la nourriture. Nous, habitants de Moussa
Lér, sommes restés trois ans et demi à cet endroit.
D'après les accords des alliés, le gouvernement d'Egypte
nous a protégés.
Nous avions demandé au gouvernement
français de nous aider, puisque notre lutte contre les
Turcs n'était pas terminée. Nos jeunes gens
s'entraînaient sous le drapeau français. Puis des
volontaires ont été envoyés pour organiser une formation
spéciale. Le Conseil National était d'accord. L'armée
d'Orient arménienne a été créée avec des jeunes de 18 à
25 ans, sans exception. Ils ont été inscrits et envoyés
à Chypre, qui était le centre militaire général..
Les Arméniens ont vaincu, sous les
ordres du Général Allenby, l'armée turco-allemande, ils
les ont poursuivis jusque la Cilicie. Et le projet de
rendre la Cilicie un foyer arménien fut envisagé.
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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Récit recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue.
Récit de Srpouhi
Guiguichian
Née en 1909 à Arapkir
Quand on nous a emmenés à Der-Zor, moi
j'étais petite, mais je m'en souviens, il n'y avait pas de
pain, ni rien à manger, il n'y avait pas d'eau à boire, il
n'y avait que des pierres et du désert. Nous avons marché,
et marché. Nous sommes arrivés péniblement dans un village.
Des Arabes nous ont apporté de l'eau, ils nous l'ont versée
goutte à goutte dans la bouche. Et aussi du raisin, grain
par grain. Ensuite les Arabes nous ont distribués entre eux.
Ils ont donné ma mère à un homme invalide. Ma mère était
blessée au bras, le pus s'écoulait comme de l'eau, mais nuit
et jour elle travaillait pour cet homme, puisqu'elle était
nourrie. Un jour, le voisin de cet homme est venu et a dit:
"ta servante est blessée au bras". L'homme a eu pitié, il a
apporté dans un récipient une bande de coton enduite d'un
onguent. Au bout de quelques jours la plaie fut guérie.
Ensuite ce voisin a dit à maman: "il y a
dans notre entourage une Arménienne, tu veux faire sa
connaissance ?"
Maman l'a rencontrée, et a vu que c'était
la sœur de mon père. La nuit, elles m'ont prise avec elles
et nous nous sommes sauvées. Nous sommes allées à Ourfa.
Là, ma mère et ma tante ont travaillé
dans une usine. Puis nous sommes allées à Malatya, nous
sommes descendues dans le quartier arménien. Nous avons
rencontré une femme d'Arapkir, de notre quartier. Elle a
dit: "Ah Bon Dieu ! ton fils est ici, il a un signe sur la
figure."
Ma mère a porté cet enfant sur son dos.
Nous sommes venues, mais lui aussi est tombé malade, il est
mort en route. Nous étions six enfants, il n'est resté que
moi
Ma mère chantait toujours en pleurant…
(Traduction de l'arménien par Louise Kiffer)
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