«La Russie ne tolérera plus de nouvelles humiliations»
Devant des experts internationaux, le président russe Dmitri Medvedev a choisi un ton vigoureux pour dénoncer le comportement «outrageusement hégémonique des Etats-Unis» et réclamer un autre traitement de la Russie.
«Pour les Russes, le 08/08, date de l’attaque géorgienne contre l’Ossétie du Sud, sonne comme le 11/09 pour les Américains», a lancé hier le président russe Dmitri Medvedev, lors d’une rencontre avec des experts et journalistes étrangers du Valdaï Club.
Selon Dmitri Medvedev, l’agression géorgienne, «préparée psychologiquement, matériellement et militairement» avec l’aide américaine, a marqué «la fin définitive des illusions» que les Russes ont longtemps entretenues sur un ordre international «juste, équilibré, fondé sur le droit international et l’égalité des Etats».
«Depuis le début des années 90, nous aurions voulu être considérés comme membre à part entière de la communauté mondiale, mais zéro!» s’est enflammé le président russe, pour qui les humiliations incessantes subies par la Russie, en particulier de la part de l’équipe dirigeante américaine, ont désormais atteint leurs limites. «Nous ne pouvons plus les tolérer», a-t-il répété. Selon lui, l’offensive surprise des troupes géorgiennes contre la minorité ossète dans la nuit du 7 août et l’absence de réaction occidentale ont joué le rôle du détonateur pour les Russes.
Saakashvili, «déséquilibré»
Dmitri Medvedev a évoqué les moments
difficiles de ce début de conflit dans le
Caucase. En vacances sur la Volga, il a été
réveillé vers 1 heure du matin par son ministre
de la Défense lui annonçant que la Géorgie
venait de déclarer la guerre à l’Ossétie. «J’ai
tout d’abord cru qu’il s’agissait d’une
provocation comme celles que les Géorgiens ont
régulièrement commises, a expliqué Dmitri
Medvedev, et j’ai attendu plusieurs heures avant
de donner l’autorisation d’ouvrir le feu. Quand
les premiers missiles sont tombés de nuit sur
les villes ossètes et que le quartier général de
nos forces de maintien de la paix a été pris
pour cible, j’ai donné l’ordre de riposter et de
repousser les assaillants.»
Pour un monde multipolaire
Evoquant sa conversation téléphonique avec
George Bush au cœur de la crise, il a dit «avoir
eu l’impression que l’on avait dit aux
Géorgiens: Allez-y, les Russes ne bougeront
pas!» «George m’a demandé: à quoi tout cela te
sert-il, toi, le jeune président libéral? Ce
calcul était une erreur de la part des
Etats-Unis, et un crime de la part de la
Géorgie.» Pour lui, le responsable principal du
conflit est sans conteste le chef de l’Etat
géorgien, Mikhail Saakashvili, qualifié de
«personnage imprévisible, habité par diverses
pathologies, mentalement déséquilibré et
consommateur de stupéfiants».
Mais derrière le président géorgien, c’est à la stratégie des Etats-Unis, à leur vision «unipolaire» du monde et à l’expansion agressive de l’OTAN que le président russe s’en est pris. «Un système international où un seul Etat est à l’origine de toutes les grandes décisions ne peut pas fonctionner», a-t-il dénoncé, donnant pour exemple l’installation de bases militaires dans les pays voisins de la Russie, le projet d’implantation de batteries antimissiles en Pologne et en République tchèque, l’avance irrépressible de l’OTAN vers l’Ukraine et les encouragements prodigués aux intentions belliqueuses de la Géorgie. A cette logique hégémonique, le président russe oppose la promotion d’un monde multipolaire. Niant vouloir revenir à la logique bipolaire de la confrontation Etats-Unis-URSS et aux sources de la guerre froide, Dmitri Medvedev a accusé au contraire les Occidentaux de confondre sans cesse la Russie nouvelle avec l’ancienne URSS et d’imposer leur idéologie au reste du monde. Il a plaidé pour un système multipolaire faisant place aux nations émergentes et à l’Union européenne et réclamé une refonte du système de sécurité international. Ce dernier devrait selon lui être fondé sur le droit international, l’une des conquêtes et conséquences importantes d’un XXe siècle meurtrier. «Ce droit ne doit pas disparaître, même si le XXIe siècle a débuté par la négation de ce qui a été réalisé auparavant à cet égard», allusion aux interventions occidentales en Serbie et en Irak notamment.
Cette multipolarisation n’empêche pas Dmitri Medvedev de réclamer pour son pays le droit à une zone dans laquelle la Russie devrait voir ses intérêts respectés. Les contours de cette zone d’influence restent flous. A l’évidence, le président russe y place l’Ukraine et la Géorgie et juge «nuisible et profondément déstabilisante» la perspective d’une éventuelle adhésion de l’un ou l’autre de ces deux voisins à l’OTAN. «Que se serait-il passé cet été si la Géorgie avait été sur la voie d’une adhésion? a-t-il demandé. Je peux vous le dire, je n’aurais pas hésité une seconde à prendre la même décision, parce que les fondements mêmes de cette décision, c’est-à-dire la défense des Ossètes, n’auraient pas changé pour autant.»