Marie Anne Isler Béguin : « L’Europe ne doit
pas flancher, car les Géorgiens comptent sur elle »
Les
forces russes ont débuté leur retrait du territoire géorgien
Quelques jours
seulement après le début des hostilités en Ossétie du Sud, la
présidente de la délégation avec les pays du Sud-Caucase, Marie Anne
Isler Béguin, s’est rendue en Géorgie à la demande du Président du
Parlement européen. Sur place, la députée française a pu se déplacer
dans la région du conflit et participer aux toutes premières
négociations de cessez-le-feu. Jointe par téléphone hier, elle nous
a raconté son périple et les espoirs de résolution de la situation,
à l’heure actuelle.
Le 20 août dernier, la Commission des
Affaires Etrangères, la sous-commission Sécurité et Défense et la
Délégation avec les pays du Caucase du Sud ont tenu une réunion
extraordinaire conjointe à propos de la Géorgie. La Ministre des
Affaires Etrangères géorgienne, Eka Tkeshelashvili, était présente:
elle a appelé l’Union Européenne à envoyer une mission dans son pays
(voir communiqué de presse dans les liens ci-dessous).
Madame Isler Béguin, quelle était la situation en Géorgie
lorsque vous vous y êtes rendue et qu’avez-vous observé sur place ?
« J’étais en Géorgie du 11 au 17 août, au moment où l’armée russe
avançait sur Tbilissi. A trois reprises, j’ai essayé d’aller vers
Gori. Un peu avant, à Kaspi (à 30 km de Tbilissi), j’ai pu constater
que la cimenterie de la ville avait été bombardée, le pont endommagé
et le chemin de fer coupé. Ainsi, même sur le territoire géorgien et
en dehors de la zone de conflit, il y avait des impacts de
bombardements russes. La population de cette ville était affolée.
Lorsque le Président russe Medvedev a signé l’accord de
cessez-le-feu, j’ai accompagné l’ambassadeur de France. Ce qu’on a
vu sur la route entre Kaspi et Gori était effrayant : les chars
avaient pris position, les Russes creusaient des tranchées le long
de la route. On a vu cette armée se déployer sur le territoire
géorgien. Les soldats russes pratiquaient la guerre des nerfs avec
les populations, car personne ne savaient ce qu’ils allaient faire.
La Russie depuis se retire, j’ai eu des témoignages de Géorgiens
disant qu’ils avaient quitté des villages. Mais il reste 500 soldats
russes laissés pour soi-disant « assurer la sécurité » sur le
territoire géorgien : c’est inacceptable. »
La reconnaissance de l’indépendance de
l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud par la Russie était une
épée de Damoclès qu’on savait présente
Marie Anne Isler Béguin
Que doit faire la communauté
internationale ?
« De manière urgente, l’Union Européenne et les Etats-Unis devront
négocier une résolution à l’ONU pour trouver un nouveau format de
règlement du conflit. Les « soldats de la CEI » -à 99% des forces
russes- avaient jusqu’à présent la légitimité d’assurer le maintien
de la paix. Après cette guerre, les Géorgiens le refusent. Les
Russes sont partie au conflit : ils ne peuvent plus assurer le
maintien de paix. Des forces de paix crédibles aux yeux de l’opinion
géorgienne doivent être désignées.
Il faut que des casques bleus soient déployés sous égide de l’ONU en
Géorgie et dans les zones de conflit. La médiation de l’OSCE n’a pas
fonctionné : elle devait envoyer 100 observateurs, et n’en a envoyé
que 20. Aujourd’hui, pour être crédible et redonner confiance à ceux
qui défendent la démocratie, il faut que ce soient des casques
bleus. Il y a quand même eu une guerre ! »
La France a convoqué un sommet européen le 1er septembre sur
le sujet : qu’en attendez-vous ?
« L’UE a soutenu la Géorgie par sa politique de voisinage. On savait
que la situation était fragile et que tant que ces conflits gelés
n’étaient pas résolus, aucun développement ne pouvait s’opérer. Il
faut maintenant trouver un règlement dans l’urgence.
L’Europe doit assumer et aider à préserver ses valeurs. Les 27
doivent être unis pour défendre la démocratie et demander à la
Russie un accord qui résolve cette question. La souveraineté de la
Géorgie et ses frontières ont été reconnues, y compris par la
Russie. L’UE ne doit pas flancher, car les Géorgiens, déçus par les
Etats-Unis, comptent sur l’UE pour les aider. Le Conseil doit avoir
le courage de prendre les décisions qu’il n’a pas prises depuis le
début de l’escalade des tensions, qui durent depuis 2-3 ans.
Ma délégation défend une perspective d’entrée dans l’UE pour la
Géorgie et les pays du Caucase du Sud, car sinon, qu’est-ce que
peuvent attendre de nous les pays de la région? Ils se tournent
alors vers l’OTAN pour assurer leur sécurité, ce que refuse la
Russie et qui a été en partie à l’origine de la crise. On voit plus
que jamais que l’UE doit se mettre d’accord sur les grands enjeux
internationaux.»
Lundi, la Douma a demandé la reconnaissance de
l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. L’intégrité
territoriale de la Géorgie est-elle menacée ?
« La reconnaissance de l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie
du Sud par la Russie était une épée de Damoclès qu’on savait
présente. Après le Kosovo, Poutine avait prévenu des conséquences
sur ces deux régions. Mais la différence, c’est qu’au Kosovo, c’est
la communauté internationale qui a travaillé pour l’indépendance.