Un document américain révèle que la Turquie a poursuivi la politique anti-arménienne de l'Empire Ottoman
Ceux qui veulent dédouaner la Turquie actuelle de sa responsabilité ont toujours cherché à la reporter sur le gouvernement jeune-turc de l’Empire Ottoman plutôt que sur la République de Turquie, qui n’a été fondée qu’en 1923.
On peut alors se demander pourquoi les officiels turcs, qui ont utilisé tous les stratagèmes pour nier la réalité du Génocide des Arméniens, n’ont pas choisi la solution de facilité en attribuant la responsabilité du Génocide au défunt Empire Ottoman.
Une explication fréquemment avancée consiste à dire que les Turcs, peuple fier, ne peuvent accepter que leurs ancêtres aient commis le crime horrible de chercher à éliminer une nation toute entière. D’autres ont argué que si la République de Turquie rendait les Ottomans coupables du Génocide, elle pourrait être tenue pour juridiquement responsable en tant qu’état successeur de l’Empire Ottoman.
Cependant, ces dernières années, il est devenu clair, en particulier grâce aux recherches minutieuses effectuées par l’universitaire turc Taner Akçam, que la raison majeure pour laquelle les officiels turcs actuels ne sont pas prêts à faire face honnêtement à leur histoire, est que la République de Turquie est réellement le successeur de l’Empire Ottoman. En effet, parmi les premiers dirigeants de la République Turque, figurait un grand nombre d’officiels ottomans de haut rang personnellement impliqués dans la mise en œuvre du Génocide des Arméniens. Cette transition sans rupture dans le gouvernement a assuré la continuité de la politique anti-arménienne des Ottomans.
Rétrospectivement, il est apparu que ce processus génocidaire s’est étendu sur plus d’un demi-siècle, commençant par le massacre de 300 000 Arméniens par le sultan Abdul Hamid de 1894 à 1896, se poursuivant par le massacre de 30 000 Arméniens à Adana par le régime jeune-turc en 1909, culminant avec le Génocide de 1,5 millions d’Arméniens de 1915 à 1923, et accompagné d’une politique de turquification forcée et de déportation de dizaines de milliers d’Arméniens par la République de Turquie.
Un important document extrait des archives américaines, connu jusqu’à présent d’une poignée d’universitaires, a récemment été publié sur un site Internet arméno-turc. Il fournit la preuve incontestable que les Arméniens ont continué à être exilés de leurs terres natales et déportés par la République de Turquie pendant une bonne partie des années 1930, pour des raisons purement racistes.
Le document en question est une dépêche « Strictement Confidentielle » en date du 2 mars 1934, envoyée d’Ankara par l’Ambassadeur Robert P. Skinner au Secrétaire d’Etat à Washington, signalant la déportation de 600 Arméniens « de l’intérieur de l’Anatolie vers Istanbul. »
L’Ambassadeur a écrit : « La plupart des déportés supposent que l’expulsion de leurs foyers en Anatolie fait partie d’un programme gouvernemental visant à faire de l’Arménie Occidentale une région entièrement turque. Ils rapportent que la police turque, dans les villes et villages où vivaient des Arméniens, a incité la population locale musulmane à chasser les Arméniens… Il a été ordonné aux Arméniens de partir immédiatement pour Istanbul. Ils ont vendu leurs biens à des prix dérisoires. Il m’a été dit que du bétail d’une valeur de plusieurs centaines de livres par tête a été vendu pour cinq livres par tête. Mon informateur a indiqué que les Arméniens ont été autorisés à vendre leurs biens afin qu’aucun d’entre eux ne puisse prétendre avoir été forcé à les abandonner. Toutefois, les ventes pratiquées dans de telles conditions équivalaient à un abandon pur et simple. »
L’Ambassadeur a également précisé : « Les Arméniens ont été contraints de marcher de leurs villages vers les voies ferrées et envoyés en train à Istanbul … La véritable raison de ces déportations est inconnue… Cependant, il est probable que leur déplacement est simplement une étape de la politique ouvertement déclarée du gouvernement en vue de rendre l’Arménie occidentale complètement turque. »
Il est donc certain que, dans les années 20 et 30, des milliers d’Arméniens rescapés du Génocide ont été contraints de quitter leurs foyers en Arménie Occidentale vers d’autres régions de Turquie ou des pays voisins. Cette politique raciste s’est poursuivie dans les années 40 avec le Varlik Vergisi, l’assujettissement à un impôt exorbitant sur la fortune des Arméniens, des Grecs et des Juifs et avec les pogroms d’Istanbul en 1955, au cours desquels beaucoup de Grecs et un certain nombre d’Arméniens et de Juifs ont été tués et leurs propriétés détruites.
Cette suite barbare de massacres, génocide et déportations met en lumière l’existence d’une stratégie à long terme mise en place par les régimes turcs successifs de 1890 jusqu’à une époque récente, afin de résoudre définitivement la Question Nationale Arménienne.
Par conséquent, la République de Turquie est juridiquement responsable à la fois de ses propres crimes et de ceux perpétrés par ses prédécesseurs ottomans.
Harout Sassounian, Editeur, The California Courier
Déportation des Arméniens - 1934
Traduit par V. N.
Secrétaire Générale de l'AAAO