L'ARMÉE TURQUE ET LE
KURDISTAN (2)
Les Turcs se sont
déclarés déterminés à agir contre les Combattants kurdes qui ont tué 17
de ses soldats, mais elle a indiqué que Washington lui avait demandé
de s'abstenir pendant quelques jours de se lancer à leur poursuite
dans leurs repaires du nord de l'Irak.
L'attaque, la plus
meurtrière en plus de dix ans lancée par les Combattants du Parti
des travailleurs du Kurdistan (PKK), est intervenue quatre jours
après l'adoption par le Parlement turc d'une motion autorisant
l'armée à pénétrer dans le nord de l'Irak pour combattre les
rebelles.
Le Premier ministre
turc Tayyip Erdogan a déclaré que la secrétaire d'État américaine
Condoleezza Rice avait demandé aux Turcs d'observer une pause de
quelques jours avant une éventuelle riposte.
"Nous attendons des
Etats-Unis qu'ils prennent des mesures rapides (contre le PKK)
compte tenu de notre partenariat stratégique", a déclaré Erdogan
dimanche soir lors d'une conférence de presse, laissant entendre
qu’il espère une intervention de Washington contre le PKK.
Les Etats-Unis
redoutent une intervention militaire turque contre le PKK dans le
nord de l'Irak, de crainte que cela déstabilise la région.
Les Turcs ont déployé
le long de la frontière quelque 100.000 hommes soutenus par des
chars et des hélicoptères de combat. Des avions militaires ont été
aperçus dimanche soir atterrissant à l'aéroport de Diyarbakir,
principale ville du sud-est, à dominante kurde.
Un communiqué du
secrétariat du président Abdullah Gül assure que les Turcs paieront
le prix qu'il faudra pour vaincre les Combattants kurdes.
"Tout en respectant
l'intégrité territoriale de l'Irak, les Turcs ne reculeront pas
devant le prix nécessaire à payer, quel qu'il soit, pour préserver
« leurs droits, leurs lois, leur unité indivisible et leurs citoyens »,
affirme le communiqué publié à l'issue d'une réunion de crise.
Le ministre de la
Défense Vecdi Gonül a déclaré à Kiev, après des discussions avec le
secrétaire américain à la Défense Robert Gates, que 17 soldats
avaient été tués, 16 blessés et que 10 autres étaient portés
disparus.
SOLDATS ENLEVES
Prié de dire s'il y
aurait une riposte militaire, il a répondu: "Pas dans l'immédiat.
Ils (les militaires turcs) projettent une incursion au-delà de la
frontière".
"Nous aimerions
entreprendre ce genre de choses avec les Américains", a-t-il ajouté.
Gates a déclaré de
son côté qu'il ne croyait pas imminente une incursion d'envergure
des Turcs en Irak. Il a aussi dit que Gonül avait laissé entendre
qu'il était réticent à agir unilatéralement contre le PKK.
Le président
américain George Bush a déclaré inacceptables les attaques du PKK.
"Le gouvernement
irakien et les autorités régionales kurdes doivent prendre
rapidement des mesures contre les attaques en provenance du
territoire irakien", a déclaré Gordon Johndroe, porte-parole du
Conseil de la sécurité nationale de la Maison blanche.
L'état-major turc a
dit que 32 rebelles avaient été tués au cours d'affrontements dans
le sud-est. La Turquie a bombardé dimanche matin des régions en
territoire irakien, mais aucune victime n'a été signalée.
Abdul Rahman Jaderji,
responsable du PKK dans le nord de l'Irak, a déclaré que les
Combattants avaient tué 40 soldats. Ce nombre n'a pu être vérifié de
source indépendante.
Selon Firat, une
agence de presse pro-PKK basée en Europe occidentale, huit soldats
ont aussi été pris en otages. Gonül a démenti l'enlèvement de
militaires.
"Nous ne pouvons
donner de détails sur le nombre de capturés, tout ce que je peux
dire, c'est qu'ils ne sont pas en Irak.
Le dirigeant kurde
irakien Massoud Barzani a prévenu que sa région autonome se
défendrait en cas d'invasion turque.
"Nous n'allons pas
nous laisser entraîner dans la guerre PKK-Turcs, mais si la région
du Kurdistan est prise pour cible, alors nous défendrons nos
concitoyens", a dit Barzani à des journalistes à l'issue d'une
rencontre avec le président irakien Jalal Talabani, kurde lui aussi.
Talabani a exhorté
le PKK à renoncer au combat et à se transformer en organisation
politique. "S'ils veulent continuer le combat, ils devront quitter
le Kurdistan irakien", a-t-il dit.
Ces unités turques
sont installées depuis dix ans dans ces bases à l'est de la ville
frontalière de Zakho, à une trentaine de km à l'intérieur de l'Irak,
dans le cadre d'un accord avec le parti d'un des chefs traditionnels
du Kurdistan irakien, Massoud Barzani, selon ces sources.
"Il y a quatre
bases turques dans le Kurdistan irakien depuis 1997", a assuré à
l'AFP un responsable du gouvernement régional kurde irakien, qui
parlait sous le couvert de l'anonymat.
A l'époque, les
troupes turques avaient apporté leur soutien au Parti démocratique
du Kurdistan (PDK) de M. Barzani contre les combattants de l'autre
grande formation kurde irakienne, l'Union patriotique du Kurdistan
(UPK) de Jalal Talabani.
M. Barzani est
aujourd'hui président de la région autonome kurde, et M. Talabani
est président de la République d'Irak.
Le Parlement turc
doit voter mercredi une motion autorisant l'armée à pénétrer dans le
nord de l'Irak pour en chasser les Combattants du Parti des
travailleurs du Kurdistan (PKK), qui y ont établi
plusieurs camps leur servant de base arrière.
"Je me demande ce
que ces bases font encore ici", a déclaré à l'AFP Yassine Ali, un
habitant de Bamerni, un village près duquel a été installé l'un de
ces camps, sur une ancienne base aérienne irakienne.
Selon des sources du
gouvernement régional kurde irakien, au moins 600 soldats turcs sont
stationnés dans le Kurdistan irakien, avec l'appui de quelques 150
véhicules blindés dont des chars. Outre Bamerni, les camps sont
installés à Amerli, Kanimesi, et Chiladeza.
Cependant des
estimations d'habitants de la région font état de quelque 1.500
militaires turcs dans cette zone, qui est au nord-est de la ville
kurde irakienne de Dohouk.
"Leur présence nous
fait peur", a poursuivi Yassine Ali, "un jour ils pourraient nous
prendre pour cible, dans la mesure où on ne peut pas faire confiance
à l'armée turque".
"Nous avons déjà vu
l'armée turque envahir la région sous prétexte de chasser le PKK,
mais elle n'a rien fait. Le PKK est resté et l'armée turque cherche
des prétextes pour rester ici et contrôler la région", a-t-il
ajouté.
Le PKK lutte depuis
1984 contre le pouvoir central turc, et selon Ankara, quelque 3.500
combattants de cette organisation ont trouvé refuge dans le nord de
l'Irak et sont soutenus par les kurdes d'Irak qui leur fournissent
armes et explosifs.
Exaspérée par la
recrudescence des activités du PKK dans le sud-est arménien
frontalier avec l'Irak depuis le début de l'année, les Turcs ont
agité la menace d'une incursion armée pour détruire les sanctuaires
du PKK.