juillet 2004), il soutient que le requérant
aurait pu introduire un recours en réparation devant les
juridictions administratives.
24. Selon le Gouvernement,
le requérant aurait également dû introduire sa requête dans un délai
de six mois suivant l'expropriation.
25. Le requérant conteste
ces thèses.
26. Tout d'abord, la Cour observe que, contrairement à l'argument
du Gouvernement selon lequel le requérant n'a jamais soulevé ses
griefs concernant l'absence de nomination des experts compétents
devant les juridictions internes, celui-ci a, à tous les stades de
la procédure, contesté la nomination des experts et demandé que la
valeur historique de son bien soit prise en considération
(paragraphes 8, 11 et 14 ci-dessus).
27. Ensuite, la Cour rappelle qu'un requérant doit avoir fait un
usage normal des recours internes vraisemblablement efficaces et
suffisants. Lorsqu'une voie de recours a été utilisée, l'usage d'une
autre voie dont le but est pratiquement le même n'est pas exigé
(voir, par exemple,
Patrícia Raquel Real Alves c. Portugal (déc.), no
19485/02, 9 novembre 2004). En l'espèce, il suffit à la Cour de
relever que, se fondant sur l'article 15 d) de la loi n o 2863
du 21 juillet 1983 concernant la protection du patrimoine culturel
et naturel, le 27 mai 2002, la Cour de cassation a confirmé
définitivement la décision rendue par le tribunal de grande
instance, rejetant partiellement le recours en augmentation de
l'indemnité d'expropriation introduit par le requérant (paragraphe
17 ci-dessus). De même, le requérant a introduit sa requête dans un
délai de six mois suivant cette décision.
28. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que le requérant
a fait tout ce qu'on pouvait raisonnablement attendre de lui afin
d'épuiser les voies de recours internes et qu'il a respecté la règle
de six mois prévue par l'article 35 § 1 de la Convention. Elle
rejette ainsi les exceptions soulevées par le Gouvernement et
constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens
de l'article 35 § 3 de la Convention et qu'elle ne se heurte à aucun
autre motif d'irrecevabilité.
Il convient donc de déclarer la requête recevable.
II. SUR LA
VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
29. Le requérant allègue une
violation de l'article 1 du Protocole no 1, ainsi
libellé :
« Toute personne physique ou
morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa
propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions
prévues par la loi et les principes généraux du droit
international. »
30. Le Gouvernement s'oppose
à cette thèse. Il affirme qu'eu égard à la marge d'appréciation que
cet article laisse aux autorités nationales, l'indemnisation fixée
par les juridictions internes était raisonnablement en rapport avec
la valeur du bien exproprié. Par ailleurs, il soutient qu'en raison
des caractéristiques historiques et/ou artistiques, le bien
litigieux fait partie de l'héritage commun.
31. Le requérant
se plaint d'une atteinte à son droit au respect de ses biens au sens
de l'article 1 du Protocole no 1,
dans la mesure où le montant du complément de l'indemnité
d'expropriation
fixé par les juridictions internes ne correspondait pas à la valeur
réelle de l'immeuble exproprié. Il soutient notamment que le
droit turc n'offre pas une indemnisation adéquate, faute de critères
permettant d'établir la valeur des immeubles constituant le
patrimoine culturel et historique du pays, tel que l'immeuble dont
il était propriétaire.
32. La Cour note qu'il n'est
pas contesté que l'expropriation de l'immeuble du requérant classé
en tant que « bien culturel », constitue une ingérence dans le droit
au respect du bien du requérant au sens de l'article 1 du Protocole
n o 1. La situation dont se plaint le requérant relève
sans contredit de la seconde phrase du premier paragraphe de
l'article 1 du Protocole no 1, qui régit l'expropriation.
33. De l'avis de la Cour,
l'expropriation poursuivait un but légitime dans le cadre de la
protection du patrimoine culturel d'un pays (voir,
mutatis mutandis,
Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 112,
CEDH 2000-I,
SCEA
Ferme de Fresnoy c. France (déc.), no 61093/00,
CEDH 2005-..., et, en dernier lieu,
Debelianovi c. Bulgarie, no 61951/00, § 54, 29
mars 2007). A cet égard, la Cour renvoie au texte de la
Convention-cadre du Conseil de l'Europe sur la valeur du patrimoine
culturel pour la société qui affirme notamment que la conservation
du patrimoine culturel et architectural et son utilisation durable
ont comme but le développement humain, et à la Convention pour la
sauvegarde du patrimoine architectural de l'Europe qui prévoit des
mesures concrètes visant notamment le patrimoine architectural
(paragraphes 19 et 20 ci-dessus).
34. La Cour rappelle
cependant qu'une ingérence dans le droit au respect des biens doit
ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l'intérêt
général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des
droits fondamentaux de l'individu (voir, entre autres,
Sporrong
et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no
52, p. 26, § 69).
35. Afin de déterminer si la
mesure litigieuse respecte le « juste équilibre » voulu et,
notamment, si elle ne fait pas peser sur le requérant une charge
disproportionnée, il y a lieu de prendre en considération les
modalités d'indemnisation prévues par la législation interne. A cet
égard, la Cour a déjà dit que, sans le versement d'une somme
raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de
propriété constitue normalement une atteinte excessive. De l'autre
côté, l'article 1 du Protocole n o 1 ne garantit pas dans
tous les cas le droit à une réparation intégrale (
Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, §
182, CEDH 2004-V, et
Scordino
c.
Italie (no 1) [GC], no 36813/97,
§ 95, CEDH 2006-...).
36. Par ailleurs, on peut
accepter que des objectifs légitimes « d'utilité publique », tels
qu'en poursuivent des mesures tendant à la conservation du
patrimoine culturel, peuvent militer pour un remboursement inférieur
à la pleine valeur tenant aux caractéristiques des biens expropriés
(voir,
mutatis mutandis,
Lithgow
et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 8 juillet 1986, série A n
o 102, § 121). Le rôle de la Cour se limite en l'espèce à
rechercher si, en arrêtant les modalités d'indemnisation, le
gouvernement défendeur a rompu le jusque équilibre recherché.
37. En l'occurrence, la Cour
constate qu'une commission d'experts a d'abord fixé à 39 186 865 000
TRL l'indemnité d'expropriation sans tenir compte de la valeur
historique de l'immeuble exproprié (paragraphe 7 ci-dessus). A la
suite du recours du requérant, deux commissions d'experts ont
conféré une valeur de 90 724 294 000 TRL dans un premier temps, se
fondant sur l'indice des prix des constructions publié par le
ministère de l'Urbanisme, dans la catégorie « immeubles à
restaurer ». Elles ont ensuite porté cette somme à 181 448 588 000
TRL, indiquant que les caractéristiques architecturales, historiques
et culturelles de l'immeuble justifiaient une augmentation de la
valeur de l'immeuble de 100 % (paragraphe 10 ci-dessus).
38. Quant au tribunal de
grande instance, le 15 juin 2001, il a fait sienne l'estimation des
expertises et a enjoint à l'administration de verser au requérant
une somme complémentaire (paragraphe 12 ci-dessus). Cependant, ce
jugement a été infirmé par la Cour de cassation, laquelle, se
référant à l'article 15 d) de la loi n o 2863 concernant
la protection du patrimoine culturel et naturel, a estimé que les
caractéristiques architecturales et historiques ou celles découlant
de la rareté d'un immeuble ne pouvaient entrer en jeu dans la
détermination de la valeur de ce bien (paragraphe 13 ci-dessus).
39. Ainsi, la Cour note que
ni au moment de la détermination de l'indemnité d'expropriation ni à
celui de la procédure relative à l'augmentation de cette indemnité,
la valeur historique du bien expropriée n'a été prise en
considération dans le calcul de la compensation, et ce en vertu de
l'article 15 d) de la loi n o 2863 (paragraphe 16
ci-dessus). Comme le démontrent les deux expertises effectuées sur
le plan interne (paragraphe 10 ci-dessus), on peut raisonnablement
conclure que si l'immeuble en question avait été évalué en tenant
compte de sa valeur historique, le requérant aurait pu obtenir une
compensation bien supérieure à celle qu'il avait reçue.
40. Pour la Cour, ce défaut
total de prise en considération de la valeur historique du bien dans
le calcul de l'indemnité est de nature à rompre le juste équilibre
voulu et prive ainsi le requérant de la valeur liée aux
caractéristiques propres du bien exproprié.
41. Pour arriver à cette
conclusion, la Cour a également tenu compte de la pratique des États
membres du Conseil de l'Europe en la matière. Même s'il est
difficile de déceler une norme précise ou des critères d'évaluation
communs, la pratique dans plusieurs de ces États démontre que la
possibilité de tenir compte de l'éventuelle valeur intrinsèque des
caractéristiques d'un bien exproprié ne peut pas être écartée
catégoriquement dans la détermination d'une compensation adéquate.
Par ailleurs, les textes internationaux pertinents soulignent que
« les considérations concernant l'intérêt public (...), par exemple
pour protéger des composantes importantes du patrimoine culturel,
doivent toujours être contrebalancées avec la nécessité de protéger
les droits de propriété individuelle » (voir l'article 4 c) du
rapport explicatif de la Convention-cadre du Conseil de l'Europe,
paragraphe 21 ci-dessus). Par conséquent, pour la Cour, une somme
raisonnablement en rapport avec ces caractéristiques doit être fixée
afin de satisfaire aux exigences de proportionnalité entre
l'ingérence dans le droit de propriété et le but d'intérêt général
poursuivi.
42. Partant, il y a eu
violation de l'article 1 du Protocole no 1.
III. SUR LA
VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
43. Le requérant se plaint
en outre du manque d'équité de la procédure devant les juridictions
internes, dans la mesure où celles-ci ont refusé de nommer un expert
qualifié en histoire de l'art afin d'évaluer les caractéristiques
culturelles et historiques de l'immeuble. Il invoque l'article 6 de
la Convention.
44. Eu égard au constat
relatif à l'article 1 du Protocole no 1 (paragraphe 42
ci-dessus), la Cour estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner
séparément s'il y a eu, en l'espèce, violation de cette disposition.
IV. SUR L'APPLICATION
DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
45. Aux termes de l'article
41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y
a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit
interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer
qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour
accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction
équitable. »
A. Dommage
46. Le requérant réclame
1 392 037 EUR au titre du préjudice matériel qu'il aurait subi. Il
présente à cet égard un calcul hypothétique sur la valeur de son
bien, prenant en considération notamment le montant qu'il avait
demandé devant les juridictions nationales, à savoir la somme de
1 000 000 000 000 TRL [1 728 75 EUR environ]. Il réclame également
20 000 dollars américains (USD) [15 347 EUR environ] pour dommage
moral.
47. Le Gouvernement, qui
conteste le bon état de l'immeuble exproprié, estime que les
prétentions du requérant sont exagérées.
48. Dans la présente
affaire, la Cour vient de constater que le « juste équilibre » n'a
pas été respecté en raison du défaut total de prise en considération
de la valeur historique du bien exproprié dans le calcul de
l'indemnité (paragraphe 40 ci-dessus). Cependant, elle a noté que
des objectifs légitimes « d'utilité publique », tels qu'en
poursuivent des mesures tendant à la conservation du patrimoine
culturel, peuvent justifier un remboursement inférieur à la pleine
valeur tenant aux caractéristiques des biens expropriés (paragraphe
36 ci-dessus). A la lumière de ces considérations et eu égard aux
conclusions des expertises réalisées sur le plan interne (paragraphe
10 ci-dessus), la Cour, statuant en équité comme le veut l'article
41 de la Convention, alloue à l'intéressé, pour dommage matériel, la
somme de 75 000 EUR.
49. Quant au dommage moral,
la Cour estime que, dans les circonstances de l'espèce, le constat
de violation de l'article 1 du Protocole no 1 constitue
en soi une satisfaction équitable suffisante.
B. Frais et dépens
50. Le requérant demande
5 000 USD [3 837 EUR environ] pour les frais et dépens.
51. Le Gouvernement conteste
ces prétentions.
52. Selon la jurisprudence
de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses
frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur
réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En
l'espèce, la Cour constate que le requérant n'a pas ventilé ses
prétentions dans la mesure où il n'a pas fourni de décompte du
travail effectué par ses avocats ni justifié toutes les dépenses
prétendument engagées. Elle estime toutefois que l'intéressé a
indéniablement encouru des frais et dépens pour la présentation de
sa requête et estime raisonnable de les rembourser à la hauteur
forfaitaire de 1 000 EUR. En conséquence, elle accorde cette somme
au requérant à ce titre.
C. Intérêts moratoires
53. La Cour juge approprié
de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la
facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de
trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Déclare,
à la majorité, la requête recevable ;
2. Dit,
par quatre voix contre trois, qu'il y a eu violation de l'article 1
du Protocole no 1 ;
3. Dit,
par quatre voix contre trois, qu'il n'y a pas lieu d'examiner
séparément le grief tiré de l'article 6 de la Convention ;
4. Dit,
par quatre voix contre trois, que le présent arrêt constitue en soi
une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par
le requérant ;
5. Dit,
par quatre voix contre trois,
a) que l'État
défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du
jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 §
2 de la Convention, 75 000 EUR (soixante-quinze mille euros) pour
dommage matériel et 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens,
plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, à convertir en
nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu'à compter de
l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront
à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité
de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant
cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
6. Rejette,
à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français,
puis communiqué par écrit le 31 juillet 2007 en application de
l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé F.
Tulkens
Greffière Présidente
Au présent arrêt se
trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et
74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion dissidente commune de MM.
Cabral Barreto, Türmen et Ugrekhelidze.
F.T.
S.D.
OPINION DISSIDENTE COMMUNE DE MM LES JUGES
CABRAL BARRETO, TÜRMEN ET UGREKHELIDZE
Nous regrettons de ne
pouvoir souscrire à l'avis de la majorité, selon lequel il y a eu
violation de l'article 1 du Protocole no 1 en cette
affaire.
Nous observons qu'il s'agit
en l'espèce d'une expropriation légale qui poursuivait un but
légitime dans le cadre de la protection du patrimoine culturel d'un
pays. Comme le souligne l'arrêt, la conservation du patrimoine
culturel et architectural et son utilisation durable ont comme but
le développement humain. Les textes internationaux pertinents, tels
que la Convention-cadre du Conseil de l'Europe sur la valeur du
patrimoine culturel pour la société et la Convention pour la
sauvegarde du patrimoine architectural de l'Europe, prévoient des
mesures concrètes visant le patrimoine historique, architectural et
archéologiques (paragraphes 19 et 20 de l'arrêt).
Nous considérons que, comme
l'a noté la Cour dans ses deux décisions du 26 juin 2007 (Perinelli
et autres c. Italie, no 7718/03 ;
Longobardi et autres c. Italie, no 7670/03), « la
nécessité de protéger le patrimoine culturel et architectural
représente une exigence fondamentale, et ce particulièrement dans un
pays accueillant une partie considérable du patrimoine archéologique
mondial ». Ces considérations valent également en l'espèce.
Alors que le classement du
terrain des requérants italiens en zone d'intérêt archéologique
frappée d'une interdiction absolue de construire a constitué, sans
nul doute, une ingérence dans leur droit garanti par l'article 1 du
Protocole n o 1, aucune compensation n'est prévue en
droit interne. Afin de justifier l'absence de toute indemnisation,
la Cour s'est fondée notamment sur cette nécessité de protéger le
patrimoine culturel et architectural.
Nous pouvons partager cet
argument. Nous pensons également que l'approche adoptée dans ces
affaires italiennes est transposable à la présente espèce. Il est
vrai qu'en l'espèce, M. Kozacıoğlu a été privé de sa propriété, ce
qui relève du premier paragraphe de l'article 1 du Protocole n
o 1. Néanmoins, d'une part, une indemnité d'expropriation lui
a été versée (paragraphe 7 de l'arrêt) et, d'autre part, il a obtenu
une indemnité complémentaire (paragraphe 16 de l'arrêt).
A nos yeux, dans le cas
d'espèce, il est plus juste de considérer que les paragraphes 1 et 2
de l'article 1 du Protocole no 1 forment un tout et que
nulle cloison étanche ne les sépare. A cet égard, le fait que dans
le calcul de cette indemnité, la valeur historique du bien n'ait pas
été prise en considération ne constitue pas un élément déterminant,
dans la mesure où, comme l'a accepté la majorité, « on peut accepter
que des objectifs légitimes « d'utilité publique », tels qu'en
poursuivent des mesures tendant à la conservation du patrimoine
culturel, peuvent militer pour un
remboursement inférieur à la pleine valeur tenant aux
caractéristiques des biens expropriés » (paragraphe 36 de l'arrêt).
Par ailleurs, en la matière, « il est difficile de déceler une norme
précise ou des critères d'évaluation communs » applicables dans les
États européens, tandis que « la pratique dans plusieurs de ces
États démontre que la possibilité de tenir compte de l'éventuelle
valeur intrinsèque des caractéristiques d'un bien exproprié ne peut
pas être écartée catégoriquement dans la détermination d'une
compensation adéquate. » (paragraphes 21 et 41 de l'arrêt).
Toutefois, puisqu'on ne peut parler d'un « standard européen » et
qu'il existe « une exigence fondamentale », telle la protection du
patrimoine historique, architectural, les États contractant doivent
bénéficier d'une large marge d'appréciation en la matière.
Nous considérons que la
solution adoptée dans les deux affaires italiennes précitées
confirme cette conclusion, dans la mesure où le classement du
terrain des requérants en zone d'intérêt archéologique entrainait
une interdiction absolue de construire, et cette situation peut même
être assimilée à une « expropriation
de facto ».
La logique inhérente à ces décisions donne à penser que l'absence
d'indemnité ne rompt pas automatiquement le juste équilibre voulu,
alors qu'en l'espèce M. Kozacıoğlu a bel et bien obtenu une
indemnité.
Nous constatons également
qu'au titre de la satisfaction équitable, la Cour a décidé d'allouer
75 000 euros au requérant (paragraphe 48 de l'arrêt), alors que si
elle se fondait sur la somme fixée par les experts internes, il
aurait fallu lui accorder une somme plus élevée (paragraphe 10 de
l'arrêt). Cela signifie qu'il n'existe aucun critère d'évaluation
objectif. Nous considérons qu'en la matière, les États contractants,
en particulier ceux qui accueillent une partie considérable du
patrimoine historique, architectural et archéologique – tels la
Turquie – doivent jouir d'une grande marge d'appréciation pour la
réalisation des objectifs énumérés dans les textes internationaux
pertinents.
Dans ces conditions, et
compte tenu de la large marge d'appréciation dont jouissent les
États en la matière, nous sommes convaincus que l'État défendeur,
qui a payé une indemnité adéquate à la suite de l'expropriation du
bien en question, n'a pas rompu le juste équilibre devant régner
entre la sauvegarde du droit de propriété et les exigences de
l'intérêt général tenant de la conservation du patrimoine
historique, architectural et archéologique. De même, l'absence de
prise en considération de la valeur historique du bien dans le
calcul de l'indemnité ne saurait constituer – en soi – une violation
de l'article 1 du Protocole n o 1.
ARRÊT KOZACIOĞLU c. TURQUIE
ARRÊT KOZACIOĞLU c. TURQUIE – OPINION DISSIDENTE
COMMUNE
DE MM. CABRAL BARRETO, TÜRMEN ET UGREKHELIDZE